
Pendant des siècles, Malinche a été vue comme la principale responsable de la chute de l’Empire aztèque en 1521. Toutefois, cette vision est aujourd’hui réévaluée. Elle a joué un rôle central en tant que traductrice et intermédiaire pour le conquistador espagnol Hernán Cortés. Ce rôle, crucial dans une période de colonisation brutale dont les séquelles se font encore sentir en Amérique latine, a alimenté mythes et légendes autour de sa personne. Mais qui était-elle réellement ? Cinq siècles plus tard, la question reste ouverte, et même la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum contribue à ce débat.
Les origines de Malinche
Le Mexique entame une série d’événements culturels pour revisiter l’histoire de Malinche, coïncidant avec l’anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Claudia Sheinbaum a déclaré : « Nous travaillons avec des anthropologues, historiens et philosophes pour réhabiliter la mémoire de cette figure importante et souvent critiquée. »
Née vers l’an 1500 dans le sud du golfe du Mexique, Malinche parlait le nahuatl et l’oluteco, une langue aujourd’hui presque disparue. Jeune, elle a été vendue comme esclave par les Aztèques à un peuple maya, avant d’être remise aux Espagnols après une défaite militaire. À ce moment-là, elle maîtrisait déjà plusieurs langues mayas.
Les Espagnols ont baptisé les femmes capturées, leur imposant une façade religieuse qui justifiait les abus qu’elles subissaient. Pour Malinche, maîtriser l’espagnol fut une stratégie de survie. Selon Camilla Townsend, historienne à l’université Rutgers, « elle a sauvé sa vie en choisissant de traduire ».
Rapidement, Malinche est devenue un pont entre deux mondes. Devant Moctezuma, dirigeant aztèque, elle traduisait les ambitions de Cortés tout en essayant peut-être d’orienter les négociations. Certains récits indiquent qu’elle a sauvé des vies, mais son rôle l’a également placée dans des situations moralement complexes, notamment en facilitant les interactions violentes entre les Espagnols et d’autres femmes.
Une figure controversée
La plupart des chercheurs modernes rejettent l’idée qu’elle ait été une traîtresse. Dans un contexte de guerres incessantes entre peuples, les Aztèques eux-mêmes étaient ses ennemis. Cependant, comme le souligne Federico Navarrete, historien à l’université nationale autonome du Mexique, il est difficile de porter un jugement objectif sur Malinche, car les tensions raciales et sociales issues de la colonisation restent vivantes. Les écoles, elles, enseignent encore une version simplifiée et nationaliste de l’histoire, occultant les alliances entre certains groupes autochtones et les Espagnols.
Yásnaya Aguilar, linguiste mixe, décrit Malinche comme une femme ayant évolué du statut d’esclave à celui de figure respectée. Son nom, Malinche, désignait d’ailleurs Cortés lui-même, soulignant leur association étroite, bien que ce soit elle qui portait la voix. Les Espagnols la considéraient également comme précieuse. Cortés, pour éviter qu’elle ne retourne en esclavage, la maria à l’un de ses commandants. Elle mourut jeune, vers 30 ans, probablement d’une épidémie, laissant derrière elle deux enfants : un fils avec Cortés et une fille avec son époux.
Malinche fut largement oubliée jusqu’au XIXe siècle, lorsque le Mexique gagna son indépendance. Elle devint alors une figure haïe, symbole de la trahison, notamment à travers un roman publié anonymement en 1826. Octavio Paz, dans Le Labyrinthe de la solitude, renforça cette image négative, la décrivant comme une femme séduite et trahissant son peuple. Son nom devint synonyme de soumission aux étrangers.
Cette caricature s’est répandue bien au-delà du Mexique. Aujourd’hui encore, dans certains milieux, être comparé à Malinche reste une insulte. Par exemple, la militante bolivienne Toribia Lero explique être qualifiée de « Malinche » pour ses alliances avec des hommes blancs dans sa lutte contre les politiques extractivistes.
Une réévaluation nécessaire
Malgré cette réputation, les peuples autochtones mexicains ont continué à honorer Malinche. Son nom est associé à des volcans, des danses cérémonielles et des traditions locales. Dans certaines régions rurales, des filles sont inscrites dès leur naissance pour incarner Malinche dans des festivités locales.
Depuis les années 1970, des féministes chicanas aux États-Unis ont commencé à remettre en question son image négative. Elles voyaient en elle une figure courageuse, ayant dû naviguer entre deux mondes. Aujourd’hui, les publications universitaires se multiplient pour replacer sa vie dans son contexte. Le gouvernement mexicain s’inscrit désormais dans cette démarche de réhabilitation.
Malinche, longtemps perçue comme une traîtresse, est aujourd’hui reconnue pour la complexité de son rôle dans l’histoire. Plus qu’une figure de trahison, elle est désormais vue comme une femme ayant traversé une époque violente, marquée par des choix difficiles et des contradictions, tout en laissant une empreinte durable. Par ailleurs, voici 10 faits captivants sur les Aztèques, l’une des civilisations les plus énigmatiques de l’histoire.