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Le mystérieux Livre de Kells : ce chef-d’œuvre du Moyen Âge qui fascine toujours autant

Lumière sur un chef-d'œuvre de l'art insulaire du IXe siècle

Les livres enluminés ont séduit les riches collectionneurs par leur richesse et leur minutie, et si l’on a tous en tête les magnifiques manuscrits gothiques enluminés tels que Les Très Riches Heures du duc de Berry, il est un ouvrage qui est longtemps demeuré mystérieux : le Livre de Kells.

UN CHEF-D’ŒUVRE DE L’ART INSULAIRE DU IXe SIÈCLE

Le Livre de Kells est un évangéliaire enluminé communément daté du IXe siècle. Il contient les quatre Évangiles d’après la Vulgate, précédés de préfaces, de résumés et de transitions entre certains passages. Il est rédigé en lettres majuscules dans un style typographique typiquement insulaire, avec de l’encre noire, rouge, mauve ou jaune.

Ces feuilles ont nécessité la peau d’environ 185 veaux. Elles sont presque toutes faites de vélin, de la peau de veaux mort-nés, sauf certaines feuilles particulièrement enluminées, constituées d’un parchemin plus épais et donc faites de la peau d’un veau plus âgé. Ces éléments confirment les moyens particulièrement importants mis en œuvre par l’abbaye qui a réalisé le manuscrit. Le livre semble néanmoins inachevé, dans la mesure où quelques-unes des décorations n’apparaissent qu’à l’état d’ébauches.

Le monastère d’Iona

Son origine exacte est mal connue, mais les spécialistes pensent qu’il est issu, du moins partiellement, du scriptorium du monastère d’Iona, une petite île proche de l’Écosse. Le lieu exact de sa création fait débat, mais cinq hypothèses sont particulièrement connues. Les études les plus récentes ont pu démontrer que le manuscrit venait, soit du scriptorium d’Iona, soit de celui de Kells, soit qu’il a été commencé dans l’un avant d’être apporté dans l’autre à la suite des invasions vikings, très fréquentes dans les îles britanniques à cette époque.

Son commanditaire est inconnu. L’oeuvre n’est pas achevée mais elle figure, de manière presque certaine, au monastère de Kells, en Irlande, en 1007. En effet, un passage des Annales d’Ulster de cette année-là précise qu’un manuscrit très similaire a été volé dans la nuit à la sacristie. Il a été retrouvé quelques mois plus tard, enterré dans un fossé. Sa riche couverture d’or incrustée de pierres précieuses avait été sauvagement arrachée.

Or, le Livre de Kells présente toutes les caractéristiques de l’ouvrage décrit dans ces annales. Cet épisode expliquerait également qu’il ne dispose pas d’une reliure à la mesure de sa préciosité et que, lors de ce forfait, plusieurs pages ont été irrémédiablement perdues et la reliure fortement endommagée. D’autres pages semblent avoir été mélangées lors de cet événement. On estime qu’une trentaine de pages ont été perdues, et un examen de l’ouvrage en 1621 par James Ussher ne comptabilisait plus que 344 pages. Le manuscrit est aujourd’hui constitué de 340 feuilles en vélin.

ON ESTIME QU’UNE TRENTAINE DE PAGES ONT ÉTÉ PERDUES

Ce n’est qu’en 1654 que le précieux Livre de Kells quitte son abbaye pour le Trinity College de Dublin où il est présenté en 1661, et où il est toujours conservé. En effet, les moines catholiques du XVIIe siècle redoutaient la cavalerie d’Oliver Cromwell. D’autres chercheurs estiment que le Livre de Kells a quitté son monastère en 1541.

Le folio 285r, dit Una autem sabbati valde, Livre de Kells

Le manuscrit a été relié plusieurs fois au cours des siècles. C’est à une de ces occasions, au XVIIIe siècle, que les pages furent rognées sans ménagement, entraînant la perte d’une petite partie des illustrations. En 1953, l’œuvre fut finalement reliée en quatre volumes par Roger Powell, lequel s’occupa aussi de retendre avec délicatesse certaines pages qui s’étaient couvertes de renflements. Il retira également une page non authentique où la reine Victoria et son époux avaient apposé leur signature en 1849.
Il fait l’objet, depuis le XIXe siècle, d’une exposition permanente et ouverte au public à la Vieille Bibliothèque (Old Library) de l’université. Les pages sont régulièrement tournées.

DES ENLUMINURES MYSTÉRIEUSES ET PLEINES DE FANTAISIE

Jean, fol 291v, Livre de Kells

Les enluminures sont bien plus riches et plus nombreuses que dans n’importe quel autre manuscrit biblique de Grande-Bretagne. On compte dix pleines pages d’enluminures ayant pu survivre à l’épreuve du temps, dont deux portraits d’évangélistes (Jean et Matthieu), trois représentations des quatre symboles des évangélistes, une page aux motifs rappelant un tapis, une miniature de la Vierge à l’Enfant, une autre miniature du Christ en majesté et enfin, deux dernières miniatures consacrées à l’arrestation et à la tentation du Christ.

Incipite de Matthieu, fol 029r, Livre de Kells

Il existe par ailleurs treize autres pleines pages d’enluminures accompagnées cette fois d’un peu de texte : c’est notamment le cas pour le début de chaque Évangile. Huit des dix pages consacrées aux tables canoniques d’Eusèbe de Césarée ont aussi été très richement illustrées. Le Livre de Kells utilise une large palette de couleurs avec, par exemple, du mauve, du rouge, du rose, du vert ou du jaune. Mais ce qui intrigue le plus les chercheurs, c’est la finesse des détails, parfois presque invisibles à l’œil nu, réalisés à une époque où la loupe n’existait pas encore. Le mystère entourant ce prodige n’a pas encore été résolu, mais un éclairage médical laisse penser qu’une très forte myopie pourrait expliquer cet exploit.

Parmi les pages les plus remarquables, citons celle représentant la Vierge à l’Enfant (folio 7v). Cette miniature introduisant les textes liminaires est la représentation la plus ancienne de la Vierge parmi tous les manuscrits du monde occidental. Le style iconographique de la miniature pourrait dériver d’un modèle orthodoxe ou copte.

Chi Rhô, fol 034 r, Livre de kells

Le monogramme Chi Rhô ou « monogramme de l’Incarnation » qui débute l’Évangile de Matthieu a fait l’objet d’un soin particulier dans le Livre de Kells, jusqu’à envahir le folio 34r dans sa totalité. Véritable chef-d’œuvre de l’enluminure insulaire, il est somptueusement décoré d’entrelacs et d’autres motifs. Le fond du dessin, de même, est submergé d’illustrations nouées et imbriquées les unes aux autres. Au sein de cette masse d’ornements sont cachés des animaux et des insectes. Trois anges surgissent enfin de l’un des bras du Chi. Une étude attentive à la loupe ne montre aucune erreur de tracé, et le remplissage presque obsessionnel de chaque vide par des figures zoomorphes ou des entrelacs celtes traduit une horreur du vide.

Initiale décorée du Livre de Kells

La décoration de l’ouvrage ne se limite pas aux passages principaux. Toutes les pages, à l’exception de deux d’entre elles, contiennent en effet un minimum d’ornements. Des initiales décorées – tout comme des petits personnages humains ou zoomorphes souvent entortillés dans des nœuds compliqués – sont éparpillées tout au long du manuscrit. Cet art des entrelacs, des figures animales et des labyrinthes microscopiques s’inspire, entre autres, de la tradition celtique. Aucun de ces motifs n’est identique à un autre, et aucun manuscrit plus ancien ne peut rivaliser avec une telle profusion d’ornements.

Table des Canons, fol 005r, Livre de Kells

Bien qu’utilisé dans la liturgie, le manuscrit est peu pratique à l’usage et se concentre sur un aspect très esthétique : il doit émerveiller. Ainsi, les spécialistes ont remarqué que le texte contient d’ailleurs de nombreuses erreurs non corrigées, les numéros de chapitres nécessaires à l’utilisation des tables canoniques n’ont pas été insérés et ces dernières, trop condensées, ne sont pas vraiment lisibles.

DES APPARITIONS DANS LA POP CULTURE 

Affiche du film Brendan et le Secret de Kells

Depuis son exposition au public au XIXe siècle, le Livre de Kells fascine le monde entier par son ornementation foisonnante mêlant éléments religieux tels que les anges, le tétramorphe, le Christ, la Vierge, etc. à des éléments clairement celtiques comme les entrelacs. La finesse des détails, l’éclat des couleurs ont inspiré aux commentateurs médiévaux le fait que cet évangéliaire serait en fait l’œuvre des anges. Avec ses deux reproductions en fac-similé, ces illustrations, en particulier le Chi Rhô, ont inspiré de nombreux artistes, sortant parfois l’œuvre de son contexte. Parmi les grands hommages au Livre de Kells, citons le film d’animation Brendan et le Secret de Kells réalisé par Tomm Moore et sorti en salles début 2009. En 1992, le groupe britannique de folk rock tendance gospel Iona a créé un album-concept appelé The Book of Kells. Des illustrateurs de fantasy y font régulièrement référence de manière plus ou moins explicite.

DES ILLUSTRATEURS DE FANTASY Y FONT RÉGULIÈREMENT RÉFÉRENCE DE FAÇON PLUS OU MOINS EXPLICITE

A la rédaction, nous avons été subjugués par la beauté et la complexité des enluminures du Livre de Kells ainsi que par son origine mystérieuse. Si l’imagination débordante des enlumineurs médiévaux vous fascine, nous vous conseillons de lire cette étonnante découverte faite dans un manuscrit du XIVe siècle.

Par Sandra Bernard, le

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