L’Europe préhistorique réécrit son histoire : les premiers humains y ont développé leurs propres savoirs

Une nouvelle étude bouleverse nos certitudes sur les origines des technologies préhistoriques européennes. Et si l’innovation était locale, et non importée ?

Les outils européens ne sont pas copiés du Levant, mais nés d’une invention autonome

Pendant longtemps, les archéologues ont pensé que les outils en pierre du Paléolithique supérieur européen étaient directement hérités de ceux du Levant.

Lire aussi Géant préhistorique : un rhinocéros sans corne de l’ère glaciaire découvert dans l’Arctique canadien

La logique semblait simple : des Homo sapiens venus d’Afrique, passant par le Proche-Orient, auraient apporté avec eux leur savoir-faire, notamment celui de la culture ahmarienne. On retrouvait dans les deux régions des lames longues, fines, symétriques, insérées dans des armes complexes.

Mais une nouvelle étude, dirigée par Armando Falcucci (Université de Tübingen) et Steven L. Kuhn (Université de l’Arizona), vient rebattre les cartes. En comparant plus de 10 000 artefacts retrouvés au Liban (Ksar Akil) et en Italie (Grotta di Fumane, Riparo Bombrini, Grotta di Castelcivita), ils ont révélé que les outils étaient proches en apparence, mais différents dans leur conception technique.

Deux manières de fabriquer les outils montrent deux traditions bien distinctes

Ce que montre cette analyse, c’est que les Européens n’ont pas simplement copié. Ils ont inventé autrement. Les Ahmariens travaillaient leurs pierres avec une réduction bidirectionnelle : ils taillaient leurs noyaux de pierre des deux côtés pour produire des lames standardisées. Un artisanat très contrôlé, précis.

Lire aussi Découverte en Égypte du plus ancien crocodile marin, vieux de 80 millions d’années

Les Protoaurignaciens d’Italie, eux, préféraient la réduction unidirectionnelle, plus souple, mieux adaptée à des matériaux de moindre qualité ou à une vie plus nomade. Résultat : des lamelles plus petites, plus variées, mais tout aussi efficaces.

Autre différence clé : les lamelles torsadées, typiques des post-Ahmariens, sont absentes en Europe. Cela montre bien qu’il ne s’agit pas d’une même chaîne culturelle, mais de deux réponses distinctes à des besoins similaires. Comme deux inventeurs face à un même problème, mais qui choisissent chacun leur chemin.

Le climat et le terrain ont conduit à des solutions similaires sans contact direct

Ce phénomène porte un nom : la convergence évolutive. On le connaît bien en biologie (les ailes des chauves-souris et des oiseaux, par exemple), mais il est encore peu reconnu en archéologie. Ici, le climat, la variabilité des ressources, la nécessité de chasser efficacement ont mené à des solutions proches, sans transmission directe.

Lire aussi Ces fossiles suggèrent que le sexe était une affaire vraiment brutale chez les dinosaures

Et pour cause : la Méditerranée, bien qu’à un niveau plus bas qu’aujourd’hui, restait une barrière. Peu probable, donc, qu’un flot continu d’idées ait circulé entre le Levant et l’Europe du Sud. Ce sont plutôt les mêmes défis adaptatifs qui ont généré des réponses techniques similaires.

L’innovation humaine ne suit pas un modèle unique, mais naît partout à la fois

Cette étude nous oblige à revoir un vieux réflexe : penser que le progrès vient toujours d’ailleurs. Que les Européens d’alors n’auraient fait que suivre le mouvement. Or non, ils ont inventé, expérimenté, adapté.

Le Protoaurignacien n’est pas une simple branche de l’Ahmarien, mais une culture à part entière, née sur le sol européen. Et cela change tout. Cela nous parle d’une humanité plus créative, plus diversifiée, plus locale aussi, que ce que les anciens modèles laissaient entendre.

Lire aussi C’est confirmé : le nanotyrannosaure était bien une espèce différente du T. rex

Il est temps d’accepter que l’innovation n’est pas toujours linéaire, ni centrée sur un seul foyer originel. Elle est polycentrique, foisonnante, et parfois, elle émerge là où on ne l’attend pas.