Que diriez-vous d’être violemment propulsé hors d’un long tube cylindrique et de voler quelques secondes dans les airs avant de vous réceptionner dans un filet en toute sécurité ? En théorie, c’est ce qui doit se passer lors d’un numéro d’homme-canon, mais comme le montre l’histoire de ce spectacle forain incontournable, les accidents ne sont pas rares.

En 1871, un Anglais du nom de George Farini met au point un mécanisme qu’il nomme assez judicieusement « projecteur ». Composé d’une plateforme, de lourds ressorts et de caoutchouc, celui-ci n’a rien à voir avec un canon et s’apparente plutôt à un improbable « lance-pierre humain », qui projette violemment son hôte vers l’avant.

UN MÉTIER À HAUT RISQUE

Farini fait breveter son invention le 13 juin 1871. Deux ans plus tard, le « projecteur » est présenté pour la première fois au public américain, et c’est Lulu, un homme de petite taille vêtu d’une robe que l’inventeur britannique a spécialement formé, qui est projeté dans les airs avant de saisir d’un trapèze suspendu au plafond du théâtre de Broadway sous les yeux médusés du public.

Le numéro connait un rapide succès et pousse George et Lulu, rapidement surnommé « La Reine des Trapézistes », à parcourir les États-Unis durant près de deux ans pour présenter leur spectacle. Malheureusement pour eux, une nouvelle innovation dans le domaine des projectiles humains voit le jour en 1875 et les plonge peu à peu dans l’oubli : le fameux « canon ».

En raison de son caractère spectaculaire et des forts risques liés à sa pratique, l’homme-canon devient une attraction incontournable en Amérique : Barnum et Yankee Robinson, réputés pour être les plus grands cirques de l’époque, ne tardent pas à l’adopter et à en faire le numéro central de leurs représentations.

Le canon en question n’a en fait pas grand-chose à voir avec le véritable engin auquel il emprunte son nom, puisqu’il ne requiert pas l’usage de poudre explosive pour fonctionner. Il s’agit le plus souvent d’une plateforme montée sur ressorts retenue par des cordes élastiques ou d’un mécanisme à air comprimé logé à l’intérieur d’un long tube cylindrique dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une catapulte.

L’homme-canon se glisse dans le cylindre, et le mécanisme à air comprimé propulse la plateforme sur laquelle il se tient jusqu’à la bouche du « canon », envoyant violemment valser le funambule dans les airs. Pour accentuer l’effet spectaculaire de la performance, de la poudre noire est utilisée afin de simuler « l’explosion » du canon.

Ces véritables « boulets humains » sont projetés dans les airs à 110 km/h, peuvent parcourir une distance de près de 60 mètres et atteindre une hauteur de 21 mètres durant leur vol. En raison du nombre impressionnant de G auxquels ils sont soumis lors de l’accélération (près de 9 fois la gravité terrestre), certains funambules s’évanouissent en plein vol, ce qui rend leur réception d’autant plus dangereuse et hasardeuse.

LES HOMMES-CANONS SONT PROJETÉS DANS LES AIRS À 110 KM/H, PEUVENT PARCOURIR UNE DISTANCE DE 60 MÈTRES ET ATTEINDRE UNE HAUTEUR DE 21 MÈTRES DURANT LEUR VOL

Bien que les cascadeurs préparent méticuleusement leurs sauts en installant des filets et matelas pneumatiques qui viendront amortir leur chute, ces dispositifs de sécurité ne mesurent généralement pas plus de 15 mètres sur 7, une taille extrêmement réduite lorsque l’on prend en compte la longueur moyenne de leur saut.

Avant que les spectateurs ne s’installent dans les gradins, les équipes testent les filets de protection et le canon en projetant dans les airs des mannequins (pesant évidemment le même poids que leurs homologues humains) et les ajustent en conséquence. Si tout se déroule bien, la prestation est maintenue, sinon elle est annulée.

L’ATTERRISSAGE REPRÉSENTE LA PARTIE LA PLUS CRUCIALE DU NUMÉRO : CANON ET FILETS DE SÉCURITÉ DOIVENT ÊTRE AJUSTÉS AVEC LE PLUS GRAND SOIN

Malheureusement, même lorsque tout semble fonctionner en théorie, les accidents ne sont pas rares, et de nombreuses tragédies émaillent l’histoire de ce spectacle forain. L’historien britannique A. H. Coxe estimait d’ailleurs que sur les 50 personnes qui avaient été les premières à pratiquer cette discipline, 30 d’entre elles avaient perdu la vie à cause de problèmes survenus lors de l’atterrissage.

Bien que le numéro soit nommé « Homme-Canon », de nombreuses femmes se sont illustrées dans cette dangereuse discipline (ici la femme Mélinite, se produisant à Paris en 1887)
Auteur inconnu / Wikipedia

Nombreux sont ceux qui ont été gravement blessés durant leurs performances. La très jeune Rossa Matilda Richter dite « Zazel », alors âgée de quatorze ans, a raté sa cible et s’est brisé la colonne vertébrale alors qu’elle travaillait pour le compte du Cirque Barnum, tandis qu’en 1987, Elvin Bale s’est brisé les deux jambes en retombant à quelques mètres du filet de sécurité (on apprit plus tard que les tests habituels avaient été réalisés avec un mannequin gorgé d’eau et donc plus lourd que le funambule).

D’autres n’ont pas eu autant de chance. En 2011, Matt Cranch se produisait pour la première fois en tant qu’homme-canon devant plus de 2 000 spectateurs. Projeté à une douzaine de mètres de hauteur, le funambule a bien atterri dans le filet, mais celui-ci n’a pas supporté sa chute. Cranch a heurté le sol la tête la première, mourant lors de l’impact.

En dépit des dangers évidents, de nombreuses familles d’hommes-canons célèbres ont connu le succès. C’était notamment le cas des Zacchini, qui travaillaient pour le compte du Ringling Circus et faisaient partie des plus célèbres représentants de la discipline au 20e siècle. Plus récemment, les Smith, représentés par David « Cannonball » et son fils David Jr. « The Bullet », ont battu plusieurs records du monde, dont celui du plus long saut pour un homme-canon (59,05 mètres) réalisé à Milan en 2011, dont la vidéo est visible plus haut.

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