
Une extinction massive, une Terre invivable et un coupable insoupçonné : la disparition des forêts tropicales. Retour sur un mystère vieux de 250 millions d’années qui résonne dangereusement avec notre crise climatique actuelle.
Un retour à la vie qui s’est fait attendre pendant cinq millions d’années
Imaginez un monde où 90 % des espèces disparaissent. C’est ce qui s’est produit lors de la troisième extinction de masse, il y a environ 252 millions d’années. Un cataclysme provoqué par une intense activité volcanique en Sibérie, déversant des gigatonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Pourtant, le plus troublant n’est pas la cause de cette catastrophe. En réalité, c’est ce qui a suivi : une Terre invivable pendant cinq millions d’années. Rien, ou presque, ne survivait.
Ce laps de temps, même à l’échelle géologique, est une anomalie. En effet, Hana Jurikova, de l’université de St Andrews, le rappelle : « Habituellement, la vie rebondit en quelques centaines de milliers d’années.« Alors pourquoi ce silence biologique prolongé ? C’est précisément là que l’étude récente publiée dans Nature entre en jeu, avec une hypothèse audacieuse : les forêts tropicales, essentielles au cycle du carbone, avaient disparu.
La disparition des forêts tropicales a aggravé le dérèglement climatique post-extinction

Les forêts ne sont pas de simples décors verts. En vérité, ce sont des puits de carbone naturels, des régulateurs climatiques. Ainsi, leur disparition à l’époque aurait empêché l’absorption du CO2 émis par les volcans, entraînant une hausse des températures de 10 à 15 °C. Bethany Allen, paléobiologiste à l’EPFZ, explique : « Les océans atteignaient 42 °C, et les terres 50 °C.«
Conséquemment, ce super-réchauffement a transformé la Pangée en un immense désert tropical, où même les plantes ne pouvaient survivre. Autrement dit, les forêts houillères, peuplées d’énormes fougères et d’insectes, ont été balayées. Résultat : un cercle vicieux climatique sans végétation pour relancer le cycle du carbone, et une biodiversité incapable de se reconstruire.
L’étude de Nature ne fait pas que constater. En effet, elle montre que cette pénurie de biomasse tropicale a entretenu la crise pendant des millions d’années. Néanmoins, elle pose aussi une question inquiétante : pourquoi la végétation tropicale n’est-elle pas revenue ?
Une leçon à méditer face à la disparition actuelle des forêts tropicales
Les parallèles avec notre époque sautent aux yeux. De nos jours, les forêts tropicales modernes sont menacées par la déforestation et le réchauffement climatique rapide. Par conséquent, Yannick Donnadieu (CNRS) prévient : « Si ces écosystèmes disparaissent à nouveau, le climat pourrait s’emballer comme il y a 250 millions d’années. »
Bien sûr, les espèces actuelles sont sans doute plus résilientes que celles de l’époque. Cependant, jusqu’à quel point ? Veut-on vraiment le découvrir empiriquement ?
Ce que nous enseigne cette époque oubliée, c’est que les forêts tropicales ne sont pas un luxe, mais une condition de la vie. Ainsi, leur disparition dans le passé a figé la Terre dans une fournaise invivable. Dès lors, leur préservation aujourd’hui pourrait bien être notre meilleure assurance-vie.