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« Facebook a profité de votre confiance » : l’ancien mentor de Mark Zuckerberg se confie

Un témoignage édifiant qui révèle comment le réseau social est devenu une menace pour la démocratie

Ancien mentor de Mark Zuckerberg, créateur de Facebook, Roger McNamee explique dans son livre “Facebook : La catastrophe annoncée” comment le plus grand réseau social est devenu une véritable menace pour la démocratie. Pour lui, les dérives de Facebook sont inscrites dans ses gènes, et s’expliquent par un business model et des algorithmes trop facilement exploitables. Roger McNamee plaide aujourd’hui pour une régulation internationale et une prise de conscience des utilisateurs, deux éléments indispensables pour empêcher Facebook de continuer à saper le pouvoir démocratique.

Avec plus de 2 milliards d’utilisateurs, Facebook est le réseau social qui rassemble le plus de personnes sur Terre. Cela fait peut-être des années que vous vivez avec lui, que vous lui confiez les moments importants de votre existence, vos états d’âme, vos tristesses et vos joies. À tel point que, selon un spécialiste en psychologie, Facebook vous connait mieux que vos propres parents.

Mais ce que nous avons peut-être tendance à oublier, amadoués par la promesse d’un partage universel de nos vies, c’est que derrière Facebook se cache un business model, profondément ancré dans un capitalisme sauvage. Vos goûts, votre situation amoureuse, vôtre âge, vos passions : toutes vos données personnelles valent de l’or. Elles sont un moyen idéal pour la plateforme de vendre à des marques la possibilité de cibler au mieux leurs clients. Et quand elles se retrouvent entre de mauvaises mains, la situation ne peut que déraper. 

Roger McNamee, investisseur et ancien mentor de Mark Zuckerberg / © UNC Kenan-Flager Business School

Des dérives inscrites dans les gènes de Facebook

Créée en 2004, Facebook voit le jour dans une Silicon Valley en pleine mutation, avec une culture de l’entreprise marquée par une défiance vis-à-vis de toute autorité. La devise de Facebook à l’époque est parlante : « move fast and break things », « aller vite et casser des choses ». L’entreprise se place dans une « économie de l’attention ». Les deux ingrédients nécessaires : du temps de cerveau disponible, et la participation active des consommateurs.

En 2006, Roger McNamee rencontre Mark Zuckerberg. Cet investisseur deviendra vite le mentor du jeune créateur de Facebook, âgé d’à peine 22 ans. Dans son livre « Facebook : La catastrophe annoncée », publié aux Éditions Quanto, il raconte : 

« Je ne m’étais pas encore rendu compte que la technologie développée dans la Silicon Valley évoluait en terrain inconnu et que je ne devrais désormais plus partir du principe qu’elle rendrait forcément le monde meilleur. Je suis presque certain que Zuck était dans le même bateau que moi ; à cette période, je ne doutais absolument pas de son idéalisme. »

Facebook donne la possibilité, en 2008, d’aimer des contenus, grâce à l’apparition du bouton « J’aime ». Il devient vite une récompense virtuelle, un marqueur de réussite personnelle. L’échelle du bonheur se mesure en pouces levés.

La modification du comportement et la dépendance allaient jouer un rôle primordial dans l’histoire de Facebook

Roger McNamee

« Obtenir des « J’aime » est devenu un phénomène social. Cette forme de reconnaissance incitait les utilisateurs à passer plus de temps sur le site. Conjointement à l’identification par les utilisateurs des personnes sur les photos, le bouton « J’aime » a été un déclencheur de dépendance à Facebook. Afin d’augmenter la valeur de ses espaces publicitaires, Facebook doit capter et accaparer l’attention de l’utilisateur, ce qu’il fait en usant de techniques de modification du comportement qui exploitent principalement le phénomène d’addiction, comme semble l’étayer un faisceau de preuves croissant. La modification du comportement et la dépendance allaient jouer un rôle primordial dans l’histoire de Facebook, mais elles n’étaient pas encore visibles durant la période où j’ai été l’un des mentors de Zuck et ne m’apparaîtraient qu’en 2017. »

Les notifications poussent les utilisateurs à venir, revenir, encore et encore, sur la plateforme. L’entreprise investit également dans l’élaboration d’algorithmes qui promettent à chaque utilisateur une expérience personnalisée. Il doit voir ce qu’il souhaite voir le plus rapidement possible pour le garder captif de la plateforme.

Cette architecture particulière de Facebook, et des réseaux sociaux en général, enferme les internautes dans des « bulles de filtres », un concept théorisé par Eli Pariser, fondateur d’une association politique progressiste américaine. L’utilisateur se retrouve confortablement installé dans un univers qui lui est familier, sur un petit nuage de contenus en accord avec ses opinions et ses croyances. La contradiction n’a pas droit de cité.

Les notifications permettent de maintenir les utilisateurs captifs de la plateforme— Anikei / Shutterstock.com

2016 – 2018 : la démocratie en danger

C’est dans ce cadre qu’en 2016, lors de l’élection présidentielle américaine, des activistes russes interfèrent dans le processus démocratique, en mettant en avant des contenus polémiques et des informations sur le réseau social, qui suscitent l’engagement. Plusieurs centaines de groupes sont créés pour cibler les minorités et influencer leurs votes.

« Dix jours avant l’élection présidentielle américaine de novembre 2016, j’ai contacté de manière formelle Mark Zuckerberg et Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, que je considérais tous deux comme des amis. Je voulais leur exprimer mes craintes quant à l’exploitation de l’architecture et du modèle commercial de la plateforme par des acteurs malveillants dans le but de nuire à des personnes innocentes. »

« Ils ont tous les deux répondu à mon e-mail en l’espace de quelques heures. Leurs réponses respectives étaient courtoises, mais peu encourageantes. Ils laissaient entendre que les problèmes que je soulevais étaient des anomalies que l’entreprise avait déjà résolues, mais m’ont tout de même proposé d’en faire part à un cadre dirigeant. Ils m’ont orienté vers Dan Rose, un membre de leur cercle restreint avec qui j’entretenais des rapports amicaux. J’ai discuté avec Dan au moins deux fois avant l’élection. À chaque fois, il m’a écouté patiemment avant de me répéter les réponses déjà obtenues de Zuck et Sheryl, en ajoutant néanmoins un élément important : Facebook était techniquement une plateforme, et non une société de médias, ce qui signifiait que l’entreprise n’était pas responsable des actions des tierces parties. Il réitérait cette affirmation comme si elle suffisait à régler le problème. »

Des activistes russes ont interféré dans le processus démocratique lors de l’élection présidentielle américaine de 2016 — Burlingham / Shutterstock.com

En mars 2018, l’affaire Cambridge Analytica éclate. Les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs à travers le monde ont permis d’influencer les intentions de votes de centaines de millions de personnes en faveur d’hommes politiques comme Donald Trump, ou de projets comme le “Brexit”. D’autres affaires de ce type éclaboussent l’image de Facebook dans les mois qui suivent, faisant fortement dévisser le cours de l’action. L’entreprise perdra 119 milliards de dollars de capitalisation. Rassurez-vous, les gens oublient vite, et l’action a depuis retrouvé des couleurs.

Alors, que faire pour éviter que Facebook ne continue à fragiliser les démocraties du monde ? Pour Roger McNamee, il est primordial que les utilisateurs de ces services changent leurs comportements pour remettre en question l’utilisation des produits de ces entreprises.

Les plateformes technologiques (…) ont profité de notre confiance

Roger McNamee

« Les plateformes technologiques, y compris Facebook et Google, bénéficient de la confiance du public, qui est intrinsèquement liée à la réputation que les précédentes générations de sociétés technologiques se sont forgée en une cinquantaine d’années. Elles ont profité de notre confiance en usant de techniques sophistiquées pour exploiter les faiblesses de la psychologie humaine afin de collecter nos données personnelles et d’en tirer profit, mais aussi pour façonner des modèles commerciaux n’offrant aucune protection aux utilisateurs. »

« Ces derniers doivent maintenant apprendre à remettre en question les produits qu’ils affectionnent tant et à changer leur comportement en ligne ; ils doivent également insister pour que les plateformes endossent leurs responsabilités – quelles que soient les répercussions des choix qu’elles font –, et pousser les responsables politiques à réglementer les plateformes afin de protéger l’intérêt public. »

Par Bertrand-Noël Roch, le

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