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Les exploitations agricoles d’Afrique risquent d’être bientôt noyées de pesticides bannis d’Europe

Les industriels pourraient se tourner vers d'autres marchés pour écouler des produits toxiques

— Fotokostic / Shutterstock.com


L’usage systématique de pesticides, dont des nicotinoïdes interdits par l’Union européenne en 2018, se développe dans les pratiques agricoles africaines. Un récent rapport craint une opportunité trouvée par les industriels agrochimiques pour déverser des produits toxiques, tandis que des dommages environnementaux sont déjà observables.

L’agriculture se développe en Afrique, les pesticides aussi

L’usage de pesticides néonicotinoïdes, dont certains ont été récemment interdits en Europe pour leurs effets néfastes sur les écosystèmes et en particulier les populations d’abeilles, pourrait devenir systématique en Afrique, notamment à l’initiative d’industriels européens qui voient dans ces pays des régulations moins strictes et moins observées. Les nicotinoïdes sont ces pesticides introduits dans les années 1990, visant à rendre des plantes aspergées toxiques aux insectes nuisibles la consommant, et ont été interdits pour leurs conséquences sur les populations non visées : « Les espèces non ciblées, telles que les pollinisateurs, sont exposées à cause de la nature non-sélective des effets toxiques des néonicotinoïdes sur l’ensemble des insectes. »

Ce constat provient d’un rapport publié le 18 novembre par le NASAC — le Réseau des académies des sciences africaines — en collaboration avec des instituts scientifiques européens, qui présente un état de la recherche actuelle sur les pesticides en Afrique, leur utilisation et leur accessibilité par les agriculteurs, et en particulier les néonicotinoïdes, récemment interdits par l’Union européenne. « Ce projet, visant à évaluer les implications d’une utilisation systématique d’insecticides dans l’agriculture africaine, observe si les effets négatifs (particulièrement sur les abeilles mais aussi sur d’autres pollinisateurs et espèces luttant naturellement contre les nuisibles) peuvent être prévus dans l’agriculture africaine, et comment les éviter. »

En effet, l’agriculture africaine est en mutation. Le modèle familial traditionnel transite progressivement vers un modèle intensif tourné vers des marchés domestiques ou d’exportation, qui implique des logiques de rendement augmenté. Avec le développement de ce type d’exploitations, à l’image des modèles européens et américains, vient l’utilisation massive de pesticides « fortement encouragée par des entreprises agrochimiques ». Aujourd’hui, l’Afrique représente entre 2,1 % et 6,8 % de la consommation mondiale d’insecticides, et reste le marché montrant la plus forte croissance dans l’utilisation des insecticides.

Des traces de pesticides retrouvées partout, tandis que les populations d’abeilles disparaissent

Tandis que « chaque pays semble utiliser des néonicotinoïdes (principalement de l’imidaclopride, de l’acetamiprid, du thiaméthoxame et du thiaclopride) », les auteurs s’inquiètent d’un possible risque de « déversement » systématisé des substances interdites dans le monde agricole africain. 

Des résidus de substance (l’imidaclopride en particulier, interdite en Europe) ont été trouvés dans du miel de plusieurs pays, dans des concentrations similaires ou supérieures à celles trouvées avant les restrictions européennes — un contamination fut aussi observée dans des sols, des millieux aquatiques et des sédiments proches de zones agricoles. « Au total, la plupart des échantillons (21 sur 30) contenaient au moins un résidu de nicotinoïde. » Madagascar et la Centrafrique semblent faire exception, tandis qu’autour de la moitié des pays du continent n’avaient été testés. 

De sévères déclins des populations d’abeilles ont été notamment remarqués au Bénin, au Kenya et en Afrique du Sud, où l’on remarquait jusqu’à 46 % de pertes en 2011. Parallèlement, la production de miel et la raréfaction des ruches s’observaient aussi en Tanzanie et en Ouganda.

Un appel à un encadrement plus strict et une coopération continentale

Les auteurs déplorent un manque de ressources pour réellement encadrer l’utilisation de pesticides, ainsi qu’un manque d’information trop fréquent chez les exploitants s’en servant. Et réclament des mesures communes à l’ensemble du continent, encore vulnérable aux dégâts environnementaux causés par les pesticides, pour des causes structurelles et financières : « La situation est exacerbée dans le contexte africain par le manque d’investissement, un accès limité aux marchés et aux prêts dans un cadre de système de régulation faible, un manque de services pour l’extension de l’accès aux techniques agricoles, combiné avec des faibles niveaux d’alphabétisation dans de nombreux cas. »

Ce qui mène à voir que l’Afrique, selon l’étude, semble prendre le même chemin que le système européen pré-régulations. Les auteurs en appellent ainsi à une coopération totale, dans l’adoption d’un critère commun à tous les pays, qui seraient une base à une future régulation. Car s’il existe de nombreux programmes et initiatives à travers le continent (le rapport, très exhaustif, en présente pays par pays), « leur respect et leur application est souvent fragile ». 

Afin d’assurer des modèles agricoles pérennes et respectueux de l’environnement, le rapport conclut par un appel à tous les acteurs : « L’Afrique a besoin d’efforts plus poussés pour protéger l’environnement d’usages néfastes des pesticides, pour conseiller les décideurs impliqués dans l’usage de pesticides, leur production, leur commercialisation et leur régulation, pour mieux réguler et enregistrer l’utilisation de pesticides, et pour évaluer l’efficacité et les effets de pesticides sur l’environnement. L’Afrique devrait ainsi mieux s’équiper pour détecter, mesurer et évaluer la prolifération de nuisibles ; recueillir des données pour quantifier les dommages, les pertes et les bénéfices ; faire appel aux législateurs et avertir le public ; développer une plateforme de débat et de plaidoyer ; et intégrer des mécanismes de régulation des nuisibles qui prennent en compte la santé de l’environnement. »

Par Victor Chevet, le

Source: Le Monde

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