Réchauffement des eaux, accumulation des déchets… Nombreux sont les critères rendant nos océans plus vulnérables que jamais. Alors que la situation ne s’arrange pas, les zones mortes se multiplient dans les océans. Réparties sur 245 000 km2, ces régions privées d’oxygène augmentent sur les côtes et en pleine mer en raison de l’utilisation de pesticides et du réchauffement climatique.
Focus sur la baie du Bengale, au large de l’Inde, où la vie marine est en train de disparaître. Dans une étude publiée sur la revue Nature Géoscience, l’Université du Danemark du Sud nous alerte sur l’instabilité de cette région de 60 000 km. « Aujourd’hui, la baie du Bengale est à un stade critique. La concentration d’oxygène est si faible qu’il suffirait d’un petit changement de conditions pour étouffer le système océanique », explique Laura Bristow, co-auteure de l’étude et biogéochimiste à l’Institut Max-Planck de Munich.
Les zones hypoxiques, dites « zones mortes » , sont des étendues océaniques où le taux d’oxygène est tellement faible que la faune marine ne peut y vivre, sous peine d’être asphyxiée. « Tous les organismes qui ont besoin de dioxygène pour respirer fuient ces zones, les espèces immobiles comme les crustacés meurent et des bactéries méthanogènes se développent. » explique Paul Treguer, biogéochimiste et professeur émérite à l’université de Brest. Même si ce phénomène de désoxygénation, provoqué par des conditions météorologiques extrêmes et des courants océaniques particuliers, existe depuis bien longtemps, la situation empire depuis les années 80.
Si en 2003, un rapport de l’ONU comptait environ 150 zones mortes dans les océans, cinq ans plus tard, une étude publiée par l’Institut de Sciences Marines de Virginie en dénombrait plus de 400. Réparties sur 245 000 km2, elles sont principalement présentes dans le Pacifique du sud, la mer Baltique, les côtes de Namibie ou encore dans le golfe de Mexico. « Les zones hypoxiques côtières s’agrandissent principalement à cause de l’accumulation des nutriments issus de l’agriculture, comme les fertilisants. » souligne Laura Bristow. En cause, la pollution industrielle et le déversement des engrais dans les ruisseaux. L’accumulation des matières organiques dans les zones côtières profite aux algues qui prolifèrent, puis se décomposent ensuite en microbes qui consument l’oxygène.
Les raisons pour lesquelles les zones mortes se multiplient dans les océans sont complexes, mais les preuves apportées par les scientifiques, dénonçant le réchauffement climatique global comme cause principale, convergent dans le même sens. « Lorsque la température augmente, l’eau change de densité et les échanges entre les eaux de surface et de profondeur se font moins facilement. La couche de surface n’est alors plus alimentée en oxygène. » continue Laura Bristow.
La clé de ce phénomène de zone morte est donc la vitesse de renouvellement des eaux. L’eau oxygénée des profondeurs se mélange avec l’eau de surface, froide et salée, quand celle-ci est suffisamment dense pour s’enfoncer en profondeur. « Dans les eaux côtières, qui reçoivent d’intenses apports organiques, si le temps de renouvellement des eaux est lent, on observera un accroissement des zones mortes. » affirme Paul Treguer. Ainsi, certaines mers dites « fermées » telles que la mer Baltique peuvent mettre jusqu’à 75 ans avant de voir leurs eaux renouvelées. L’apport en oxygène y est alors d’autant plus limité.
Evidemment, si les « zones mortes » sont appelées comme tel, ce n’est pas uniquement à cause du manque d’oxygène asphyxiant la faune marine, mais aussi des conséquences directes qui en découlent. De fil en aiguille, la désoxygénation entraine un bouleversement du cycle de l’azote, affectant directement la production primaire et la chaine alimentaire marine. « Supprimer les dernières traces d’oxygène dans la baie du Bengale pourrait avoir un impact majeur dans le cycle de l’azote de l’océan Indien et donc sur la faune marine » insiste Wajih Naqvi, co-auteur de l’étude à l’Institut national d’océanographie à Goa.
Si les dernières traces d’oxygène dans la baie du Bengale étaient amenées à disparaître, alors la perte d’azote s’accélèrerait, ce qui affecterait directement la faune marine. Les conséquences qui s’en suivraient pour l’industrie de la pêche en seraient désastreuses. Ainsi, il s’agirait de trouver des moyens pour trouver quels impacts les activités humaines vont avoir sur les cycles de nutriments des océans, et des méthodes pour pouvoir y remédier. Selon les scientifiques, la régulation de l’utilisation des produits chimiques dans l’agriculture serait désormais la première mesure essentielle à prendre pour inverser cette tendance critique.
Par Tom Savigny, le
Source: Le Monde
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