Imaginez-vous prendre le volant d’un bus pour un voyage de plusieurs centaines de kilomètres d’asphalte impeccable et en parfaite ligne droite avec pour seul compagnon un sapin magique accroché au rétroviseur. Une aventure au milieu du désert qui vous demandera 8h de concentration pour tenir le cap et ne pas finir dans le décor minimaliste. Vous n’êtes pas chaud ? Vraiment ? Allez, c’est pour la bonne cause !
Desert Bus est le jeu le plus ennuyeux du monde. Il n’a pas de défaut de conception, il n’est pas énervant, il n’est pas trop dur ni même trop facile. Il est juste chiant. Comme la pluie. Oui le jeu a été voulu exactement comme ça.
Penn & Teller. Voilà le nom des génies, illusionnistes de profession qui, en 1995, ont décidé de créer Smoke and Mirrors, une compilation de 6 mini-jeux de plateforme aventure sur Sega CD pour faire marrer les copains. Aucun de ces jeux n’a été conçu pour vous amuser, ce sont juste des arnaques vouées à vous prendre la tête. Malheureusement, la plateforme est morte avant même que le développement ne soit terminé. Heureusement, ces petits bijoux avaient déjà fait parler d’eux et ils ont pu trouver leur voie par le site web Lost Levels qui se consacre aux jeux inachevés.
Régulièrement pris en exemple comme étant le pire jeu vidéo de l’histoire, Desert Bus vous emmène conduire un bus dans le désert. Étonnant me direz-vous. Oui mais ça n’est pas tout ! Avec une vitesse de pointe de 45 mph, vous allez devoir conduire 8h pour rallier les 360 miles (580 km) qui séparent Tuscon, Nevada de Las Vegas, Arizona. La route est parfaitement linéaire, ne comporte aucun piège et vous ne croiserez pas une seule voiture, mais attention, le bus a tendance à dévier sur la droite. Si vous êtes amené à ne serait-ce qu’effleurer le bas-côté, alors le bus calera vous contraignant à vous faire remorquer jusqu’à la ville de départ. Détail important, le jeu ne peut pas être mis en pause. 8h. En ligne droite. Sans s’arrêter.
Rassurez-vous, des surprises vous attendent au tournant. Pour briser la monotonie du décor désertique, des cactus et panneaux de signalisation inutiles apparaitront de temps en temps sur le côté de la route. Plus surprenant encore, si vous êtes attentif vous pourrez contempler un insecte s’écraser sur le pare-brise au bout de 4 à 5h de conduite. Épique. Pour récompenser vos efforts, un point de scoring vous sera accordé à destination ! Vous aurez alors quelques secondes pour décider si un voyage de retour est envisageable. Vous voulez essayer ?
Oui, c’est pénible, ennuyeux, inutile et vous avez sûrement mieux à faire. Alors pourquoi en parler ? Déjà parce que c’est un OVNI dans le monde du jeu vidéo. Tout projet commercial a pour volonté de générer du profit et Desert Bus semble être à l’encontre de ce principe. A travers ce jeu conceptuel, Penn & Teller voulaient montrer à la classe politique américaine et ses lobbies puritains qu’un jeu irréprochable, reprenant à la lettre la réalité et évitant ainsi toute déviance morale, serait absolument vain.
Pourtant, certains ont vu dans ce jeu une opportunité. Pourquoi ne pas le reprendre comme emblème et l’utiliser comme support ou fil rouge d’un événement comme on utilise une bande-son pour accompagner nos soirées ? C’est l’idée de Desert Bus for Hope, un événement caritatif organisé par le groupe canadien LoadingReadyRun depuis 2007. Pour inciter les internautes à donner de l’argent à l’association Child’s Play, plusieurs joueurs se relaient pendant plusieurs jours non-stop pour conduire le bus. En 2015, la 9e édition a permis de récolter 683 720 $ en 6 jours et 15 heures de direct sur Internet. On peut dire que ça vaut le détour.
Et ce n’est pas tout. Leur concept a tellement plu que d’autres pays l’ont repris et adapté. L’association Loisirs Numériques et les éditions Omaké Books déclinent à leur sauce l’opération depuis 2013 dans un show diffusé sur Twitch et dont les bénéfices sont reversés au Secours populaire français. En 2015, l’école 42 prête ses locaux pour 60h pendant lesquelles des personnages du paysage vidéoludique ou télévisuel français tels que Zerator, Antoine de Caunes, Cyprien, Monsieur QuaRaté, DamDam, Benzaie, Thud et bien d’autres, se sont relayés dans cette course de bus magique tout en discutant actu, potins, avenir, jeux vidéo, charité et bien sûr, bus et désert.
Un jeu des plus palpitants donc pour une des plus belles œuvres caritatives du jeu vidéo. Le succès est énorme pour le plus grand plaisir de toutes les personnes dans le besoin ainsi secourues. Pas étonnant lorsque l’on sait que la communauté gaming mondiale est une des plus généreuses comme le démontrent par exemple chaque année d’autres événements tels que Gaming for Good, l’association créée par le streamer Athene, ou Awesome Games Done Quickly, un rassemblement de speedrunners.
Véritables guides charitables, ces chauffeurs de bus nouvelle génération vous mènent sur la route bienfaisante de la philanthropie. Donner de son temps dans une épreuve marathon aussi ennuyeuse que caritative afin d’aider les plus démunis est une des plus belles utilisations de Desert Bus, ce jeu inutile devenu synonyme de bonté.
Par Gabriel Pilet, le
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