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Grâce à des dents de dinosaures, on sait de quoi était composé l’air il y a 250 millions d’années

Les taux de CO2 étaient énormes dans l’air du Jurassique

Les dents d'un Tyrannosaurus rex
Les dents d’un Tyrannosaurus rex — © Hnapel / Wikimedia Commons

Il y a des millions d’années, des créatures telles que les sauropodes au long cou et les tyrannosaures évoluaient dans un environnement marqué par une chaleur écrasante, des forêts luxuriantes et une atmosphère instable. Aujourd’hui, leurs dents fossilisées permettent d’explorer cet air préhistorique d’une manière inattendue. Selon une étude récente, publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, les dents des dinosaures contiennent des indices chimiques provenant directement de l’atmosphère de leur époque. 

L’émail dentaire

En analysant des isotopes rares d’oxygène conservés dans l’émail dentaire, les chercheurs ont pu reconstituer des niveaux de CO₂ atmosphérique datant du Jurassique et du Crétacé. Traditionnellement, les chercheurs s’appuient sur des marqueurs marins comme les coquilles de plancton ou les dépôts carbonatés pour reconstituer l’environnement ancien. Ces méthodes fournissent des informations, mais restent centrées sur l’univers océanique. Les dents de dinosaures, elles, offrent une perspective directe sur les conditions terrestres.

Thomas Tütken, paléontologue et géochimiste à l’université Johannes-Gutenberg de Mayence, explique : « Même après 150 millions d’années, les isotopes d’oxygène issus de l’air que respiraient les dinosaures restent enfermés dans leurs dents. » Ces isotopes permettent non seulement d’estimer la composition de l’air, mais aussi de mieux comprendre la productivité des plantes à l’époque.

L’oxygène, en effet, est absorbé à la fois par respiration et à travers l’eau consommée. Il est ensuite fixé dans les tissus durs, notamment l’émail dentaire, qui se révèle étonnamment stable au fil des millénaires. En mesurant les proportions des trois principaux isotopes de l’oxygène, les chercheurs peuvent évaluer la part d’oxygène provenant de l’air et de l’eau.

Des dents de musée qui parlent

L’étude a été dirigée par Dingsu Feng, géochimiste à l’université de Göttingen. Son équipe a prélevé des échantillons d’émail sur des dents de dinosaures conservées dans des musées européens. Les spécimens, datant de la fin du Jurassique et du Crétacé supérieur (il y a entre 150 et 66 millions d’années), provenaient d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Afrique.

Les résultats montrent que durant le Mésozoïque, les concentrations de CO₂ étaient bien plus élevées qu’aujourd’hui, atteignant jusqu’à 1 200 parties par million (ppm) au Jurassique supérieur. Cela représente environ quatre fois les niveaux préindustriels. Vers la fin du Crétacé, ces niveaux ont légèrement baissé à 750 ppm, soit trois fois les concentrations préindustrielles. En comparaison, les niveaux actuels de CO₂ sont autour de 430 ppm, mais augmentent rapidement en raison des activités humaines.

Une anomalie volcanique capturée dans l’émail

Deux dents se sont démarquées par des niveaux exceptionnellement élevés d’oxygène 17 : l’une appartenait à un Tyrannosaurus rex, l’autre à un Kaatedocus, un sauropode à long cou. Ces valeurs anormales suggèrent des pics soudains de CO₂ dans l’atmosphère au moment où ces dinosaures vivaient. Pendant le Mésozoïque, de gigantesques éruptions, comme celles des trapps du Deccan (dans l’actuelle Inde), ont pu libérer d’immenses quantités de gaz à effet de serre. Les dents fossiles semblent avoir enregistré ces épisodes climatiques violents.

Les analyses isotopiques ont aussi permis d’évaluer la productivité végétale de l’époque. Les plantes du Mésozoïque produisaient deux fois plus de biomasse qu’aujourd’hui. L’association de fortes concentrations en CO₂ et de températures élevées a favorisé une croissance végétale abondante, même dans les régions polaires.

Eva M. Griebeler, écologiste évolutionniste à Mayence, souligne que cette production massive de plantes influait directement sur les réseaux trophiques : plus de végétation signifiait plus d’herbivores, et donc plus de prédateurs. L’incroyable diversité et la taille imposante des dinosaures pourraient ainsi s’expliquer en partie par cette abondance végétale.

Une nouvelle lecture du passé… et du futur ?

Cette approche innovante basée sur les isotopes de l’oxygène ouvre la voie à des reconstitutions beaucoup plus précises de l’atmosphère ancienne. En étudiant les dents fossiles, les scientifiques peuvent mieux comprendre comment les écosystèmes ont réagi à des changements climatiques majeurs.

La prochaine étape pour l’équipe consiste à appliquer cette méthode à la période Permien-Trias, il y a 252 millions d’années. Cet épisode, surnommé la « Grande Extinction », fut le plus dramatique de l’histoire terrestre. Lié lui aussi à des éruptions volcaniques massives, il a causé la disparition de près de 90 % des espèces marines et 70 % des vertébrés terrestres. En décodant les signatures chimiques des fossiles de cette époque, les chercheurs espèrent mieux comprendre l’impact des extrêmes climatiques sur la biodiversité.

Alors que les niveaux de CO₂ n’ont jamais été aussi élevés depuis des centaines de milliers d’années, cette étude nous rappelle que le climat de la Terre est tout sauf stable. Les dents fossiles, devenues de véritables archives atmosphériques, nous offrent une nouvelle manière d’explorer ces bouleversements. « Les dinosaures deviennent, en quelque sorte, des climatologues », conclut Feng. « Leurs dents ont conservé les secrets du climat d’il y a plus de 150 millions d’années. Aujourd’hui, nous avons enfin les outils pour les lire. »

Par ailleurs, grâce à ce fossile remarquable, on sait enfin quel type de sons produisaient les dinosaures.

Par Eric Rafidiarimanana, le

Source: ZME Science

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