Quand on parle d’évolution, il est courant de s’imaginer celle des créatures aquatiques qui ont changé jusqu’à pouvoir marcher sur la terre. Pas vraiment à s’imaginer parler de l’évolution des organes génitaux. C’est pourtant bien le sujet d’une étude qui décrit ce qui s’apparente à une « course à l’armement » sexuel chez certains coléoptères.

Derrière le terme ô combien étonnant d’accouplement traumatique se cache un phénomène qui l’est tout autant. Il est pourtant très répandu chez certaines espèces animales, notamment chez certains coléoptères. En effet, dans ces espèces, le mâle est pourvu d’un appareil génital particulier, hérissé de pics et aiguillons de tailles en tous genres. Parmi ces coléoptères, la bruche du niebé fait figure de célébrité avec son phallus ressemblant étrangement à un fléau de l’époque médiévale.

UN MÂLE PLANTE SON PÉNIS DANS LA CARAPACE DE LA FEMELLE AFIN QUE LE SPERME SE FRAYE UN CHEMIN JUSQU’AUX OVULES A TRAVERS LE SANG ET LE CORPS DE CELLE-CI.

Pendant l’acte de reproduction avec la femelle, le mâle plante son pénis dans le corps de la femelle en utilisant ses aiguillons pour percer la carapace de celle-ci, à l’endroit où se trouvent les organes reproducteurs. L’étape suivante consiste alors simplement à déverser son sperme dans l’orifice créé par l’aiguillon, en espérant que les gamètes reproductrices atteignent les ovules de la femelle. Heureusement, les femelles se sont pourvues de moyen pour lutter contre ces agressions répétées qui, si elles ne les tuent pas, peuvent tout de même réduire leur espérance de vie et le nombre d’œufs qu’elles peuvent produire.

Une bruche de Niébé

Avec le phénomène de co-évolution, mâle et femelle se rendent donc coup pour coup. C’est ce qu’en a mis en exergue une étude menée à l’université d’Australie-Occidentale et récemment publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B. Le co-auteur de cette étude, Liam Dougherty, et son équipe ont étudié treize populations différentes de cette espèce de bruche pendant une décennie. Ils ont ainsi eu accès à plus de cent générations de ces insectes au cours de l’étude. « Lorsque les mâles ont évolué pour former leur douloureux pénis, les femelles ont co-évolué pour réduire ce mal » , avance Dougherty.

Deux spécimens de bruche de niébé en plein coït.

Ainsi, alors que les mâles voyaient leurs phallus se pourvoir de davantage d’aiguillons, plus longs, parfois courbés et tordus, afin de maximiser leurs chances de procréer, les femelles ont développé d’autres caractéristiques pour mieux résister à ces agressions douloureuses. James Dougherty explique que : « premièrement, l’épaisseur moyenne de l’appareil génital de la femelle a augmenté pour éviter la perforation » . Il ajoute que les femelles bruches ont également développé un système immunitaire plus performant qui leur permet de subir moins d’infections au niveau des plaies et de les cicatriser plus rapidement. « La co-évolution observée chez cette espèce aboutit à une ‘course à l’armement sexuelle’ » résume James Dougherty.

Vue au microscope d’un pénis de bruche du niébé

Il faut dire que chez la bruche du niébé, la procréation est quelque chose de vital, qui passe même avant le besoin de se nourrir ou de boire, comme l’explique le site New Scientist. Une fois que les insectes deviennent sexuellement mûrs après être sorti des haricots dans lesquels ils vivent à l’état de larves, ils n’ont qu’un seul objectif à remplir : procréer. A ce moment-là, ils n’ont que faire de boire ou manger, ils ne pensent qu’à chercher un ou une partenaire. On comprend bien là à quel point l’évolution des organes sexuels peut jouer dans la réalisation de ce but.

LA CO-ÉVOLUTION OBSERVÉE CHEZ CETTE ESPÈCE ABOUTIT A UNE ‘COURSE A L’ARMEMENT SEXUEL’ – JAMES DOUGHERTY

Les raisons pour la présence d’aiguillons sur le pénis de ces insectes sont nombreuses. Certains avancent que cela pourrait, comme chez plusieurs espèces de serpents, servir aux mâles pour s’accrocher à la femelle pendant l’acte de reproduction. James Dougherty, lui, explique que « les mâles possédant des dards plus longs ont de meilleures chances de réussir à féconder les femelles » .

Toujours selon le chercheur, il est possible que l’évolution des dards sur le pénis des mâles soit une façon d’augmenter les chances d’œufs fécondés par un même mâle. Plusieurs spécimens mâles peuvent en effet copuler avec la même femelle. « Le bien-être féminin est sacrifié au détriment de la condition physique masculine. L’accouplement traumatique a évolué, car il augmente le succès de la fertilisation masculine » , ajoute l’Australien.

Bruches du niébé (Callosobruchus maculatus) sur des haricots.

Un paradoxe car, avant l’évolution de la femelle pour se garder de dommages plus irréparables au niveau de son abdomen et de ses organes génitaux, les blessures avaient des chances de réduire le nombre d’œufs pondus. Et justement, parmi les autres hypothèses avancées, certaines peuvent faire froid dans le dos. Ainsi, il se pourrait que ces dards lacèrent suffisamment les femelles pour qu’elles meurent peu de temps après la ponte des œufs fertilisés par un mâle. Ce qui signifierait qu’elle ne pourrait pas pondre d’œufs fécondés par d’autres mâles.

Dans la communauté scientifique spécialisée, les spéculations vont bon train : certains pensent que plus les trous creusés par les dards sont profonds, plus les hormones émises par le mâle lors de l’éjaculation ont de chances d’influencer le comportement des femelles, ce qui leur permettrait de mettre en avant leur semence par rapport à celle des autres mâles.

LE BIEN-ÊTRE FÉMININ EST SACRIFIÉ AU DÉTRIMENT DE LA CONDITION PHYSIQUE MASCULINE.

C’est ce qu’explique Göran Arnqvist, professeur d’écologie animale à l’université d’Uppsala, en Suède. Pour ce spécialiste, qui a lui aussi étudié l’incroyable évolution de la reproduction chez les bruches du niébé, les « mâles en profitent pour émettre des signaux à la femelle en passant par la membrane du conduit reproductif. Les substances de signaux (certainement des hormones) font que la femelle pondra plus d’œufs et qu’elle utilisera le sperme de ce mâle-ci pour féconder ses œufs, plutôt qu’utiliser celui d’autres mâles » .

Autre vue microscopique d’un pénis de bruche du niébé.

Une autre théorie avancée est celle qui consiste à penser que plus les pénis de ces coléoptères sont bardés d’aiguillons, plus ils endommageront les organes génitaux de la femelle, ce qui, en retour, diminue les chances que celles-ci ne s’accouplent avec des rivaux.

Enfin, certains pensent, comme c’est le cas pour James Dougherty, que des dards plus longs et aiguisés sont simplement synonymes de meilleure pénétration dans le corps des femelles pour mieux atteindre les ovaires et ainsi avoir encore plus de chances de féconder les œufs.

Une femelle bruche installée sur une feuille d’arbre.

L’ACCOUPLEMENT TRAUMATIQUE A ÉVOLUÉ, CAR IL AUGMENTE LE SUCCÈS DE LA FERTILISATION MASCULINE.

Il va falloir sûrement de nombreuses années d’étude supplémentaires pour parvenir à percer définitivement le secret de la reproduction chez les bruches du niébé et chez les autres coléoptères qui s’accouplent selon ce même principe. Dans tous les cas, cela reste une découverte fascinante : qui aurait pensé que le règne animal pouvait contenir des armes de reproduction (et parfois de destruction) massives comme celles-ci !

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