Pendant la grossesse, entre 50 et 80 % des femmes se plaignent de troubles de la mémoire, de difficultés à parler ou à écrire de manière cohérente ou encore d’une sensation de « flou ». Mais peut-on dire que le cerveau d’une femme enceinte fonctionne différemment ? Il ne fait aucun doute que de nombreux changements se produisent dans le corps d’une femme pendant la grossesse, mais comment ces changements affectent-ils le cerveau ?
Plus de la moitié – peut-être même jusqu’à 90 % – des femmes enceintes souffrent plus ou moins de nausées ou de vomissements, surtout le matin. Largement médiatisées, les hospitalisations de Kate Middleton, Duchesse de Cambridge, ont attiré l’attention sur près de 1 % des femmes enceintes souffrant des nausées matinales prolongées appelées hyperemesis gravidarum. Celles-ci peuvent entraîner déshydratation et perte de poids et nécessiter des soins médicaux. Pour la plupart des femmes, les nausées matinales disparaissent au bout de 18 semaines.
POUR LA PLUPART DES FEMMES, LES NAUSÉES MATINALES DISPARAISSENT AU BOUT DE 18 SEMAINES
La cause de la nausée matinale n’est pas entièrement élucidée. Selon la théorie la plus répandue, elle est la réaction du corps à l’augmentation de l’hormone de grossesse, la gonadotrophine chorionique humaine (hCG). Des études ont montré une relation temporelle entre l’hCG et la nausée matinale, ce qui signifie qu’il y a une corrélation entre les niveaux de hCG dans la circulation sanguine et la fréquence des vomissements. Un fait intéressant, mais qui n’explique pas l’origine de ce phénomène.
Nous savons que le premier trimestre est une période importante dans le développement du fœtus. Le système nerveux central se forme pendant ce temps, et ce processus délicat est facilement perturbé par les toxines qui circulent dans le sang de la mère. Une théorie plus récente affirme que des vomissements pendant les premiers mois de la grossesse jouent un rôle bénéfique en débarrassant le corps de nourriture qui peut perturber ce stade crucial de développement.
Le vomissement est contrôlé par une zone médullaire appelée l’area postrema. Fait important, la zone postrema manque de barrière hémato-encéphalique, ce qui signifie qu’elle est capable de détecter des toxines dans le sang. La recherche a montré que la zone postrema possède des récepteurs pour hCG, ce qui peut expliquer pourquoi elle est particulièrement sensible pendant la grossesse.
Cette « théorie de la toxine » est confirmée par plusieurs éléments, y compris le fait que la nausée matinale est plus fréquente dans les sociétés avec les « aliments à risque », qu’elle ne se produit que chez les humains et que les nausées et les vomissements les plus sévères sont associés à des taux inférieurs de fausses couches.
Bien sûr, ces soi-disant toxines ne sont pas du tout toxiques pour les femmes adultes en bonne santé, et le placenta fait un travail remarquable pour filtrer les déchets et lutter contre l’infection. Les nausées matinales sont plus souvent associées à des aliments sensibles à des micro-organismes avant la réfrigération (comme les viandes), ou des légumes amers, dont le goût envoyait le signal « poison » à nos ancêtres lointains. Il s’agit d’un système de détection très affiné, et malgré tous les inconvénients qu’elles procurent aux femmes enceintes, les nausées matinales représentent probablement un avantage évolutif pour le développement du bébé.
Selon de nombreuses femmes, une hypersensibilité aux odeurs, appelée hyperosmie, faisait partie des premiers signes de leur grossesse. Bien que les cas d’hyperosmie aient été observés depuis plusieurs décennies, la littérature scientifique sur le sujet est rare. Subjectivement, environ deux tiers des femmes évaluent leur odorat comme plus fort que d’habitude pendant la grossesse. Une autre étude a révélé que, comparativement aux femmes qui ne sont pas enceintes, les femmes enceintes sont particulièrement sensibles aux odeurs telles que la cuisson des aliments, la fumée de cigarette, la nourriture avariée, des parfums et des épices.
LES FEMMES ENCEINTES SONT PARTICULIÈREMENT SENSIBLES AUX ODEURS
Quelques études ont examiné les seuils de détection d’odeur (plus petit volume d’air permettant la détection des odeurs) chez les femmes enceintes contre les femmes non enceintes. Mais dans une étude où six parfums différents ont été testés, il n’y avait aucune différence de seuil de détection entre les deux groupes.
Compte tenu de la contradiction entre les rapports subjectifs et objectifs sur l’hyperosmie, la recherche suggère que les femmes enceintes n’ont pas forcément un odorat plus aigu, mais identifient mieux les odeurs. Une étude récente a montré que les femmes enceintes sont plus susceptibles d’évaluer une variété d’odeurs comme nettement moins agréables que les femmes non enceintes. Au début de la grossesse – un peu comme le corps rejette les aliments qui peuvent être toxiques pour le fœtus en développement – il semble que les femmes ont une plus grande « sensibilité au dégoût » qui les incite à éviter d’autres contaminants potentiels. Cela peut expliquer pourquoi des choses comme la fumée de cigarette et la nourriture avariée deviennent insupportables.
Comme avec les nausées matinales, il y a un lien entre les variations des taux d’hCG et le changement de la perception d’odeur par une femme. Ceci laisse à penser que les changements hormonaux peuvent agir sur les processus cognitifs liés à notre perception des odeurs.
Bien qu’un certain nombre de futures mamans se plaignent de troubles de la mémoire, la recherche sur ce sujet est contradictoire. Comme pour la plupart des changements qui se produisent pendant la grossesse, les fluctuations hormonales sont une cause possible. Mais certaines femmes ne signalent aucun changement cognitif pendant cette période. En 2008, une méta-analyse a indiqué que, par rapport aux femmes non enceintes, les femmes enceintes obtiennent de moins bons résultats sur certains types de mémoire, en particulier la mémoire à court terme.
Dans une étude publiée en 2014, des chercheurs au Royaume-Uni ont donné une tâche de reconnaissance spatiale à des femmes non enceintes, ainsi qu’à des femmes au cours de chaque trimestre de leur grossesse. Par rapport à leur premier trimestre de grossesse, les femmes enceintes ont obtenu, en moyenne, un score 11,7 % moins élevé pour chaque trimestre subséquent. Cependant, lorsque les chercheurs ont comparé les scores des tests effectués à différents niveaux de six hormones distinctes mesurés à partir de plasma sanguin, il n’y avait pas de corrélation – en d’autres termes, les hormones ne jouent pas forcément un rôle dans ces troubles de la mémoire.
Fait intéressant, une étude de 2008 fait état d’une diminution de la neurogenèse, ou la naissance de nouveaux neurones dans l’hippocampe de souris pendant la grossesse. L’hippocampe est impliqué dans la consolidation de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, ainsi que dans la navigation spatiale, qui vous aide par exemple à vous souvenir où vous avez garé votre voiture. De même, une étude antérieure n’avait montré aucune différence dans les tailles du cerveau entre les rates enceintes et non enceintes à l’exception de l’hippocampe. A ce jour, aucune étude n’avait pour objet le cerveau de la femme enceinte pour examiner les changements potentiels dans l’hippocampe humain.
Il existe l’hypothèse selon laquelle la privation de sommeil ou le nouveau stress lié à un changement majeur dans la vie pourraient contribuer au manque de concentration pendant la grossesse. Certaines recherches suggèrent qu’il y a une attente culturelle en jeu, que le concept populaire de « cerveau de la grossesse » peut simplement rendre les femmes plus conscientes de leurs dérapages quotidiens. Un changement au quotidien avec une nouvelle grossesse pourrait perturber aussi les capacités de mémoire de certaines femmes.
Bien que la grossesse humaine n’ait pas encore révélé tous ses secrets, une chose est claire : les bébés se manifestent d’une façon ou d’une autre bien avant qu’ils ne viennent au monde. Chaque femme vit sa grossesse comme une expérience unique et pourtant certaines réactions du corps sont presque universelles.