Le mont Everest, la plus haute montagne du monde, fascine les explorateurs depuis des siècles. Mais il cache aussi un secret étonnant : la nuit, il émet des bruits étranges qui ressemblent à des explosions. Une équipe internationale de chercheurs a mené une expédition pour percer ce mystère et a découvert que le froid glacial était à l’origine de ces phénomènes sonores.
Un campement sur un glacier silencieux
En 2018, le glaciologue Evgeny Podolskiy, du Centre de recherche arctique de l’université d’Hokkaido, a dirigé une expédition dans l’Himalaya népalais pour étudier les glaciers qui entourent le mont Everest. L’équipe a installé son campement sur un glacier dépourvu de débris et a profité du paysage magnifique. “En fait, nous avons déjeuné en admirant l’Everest”, raconte Podolskiy. Mais le soir venu, le décor idyllique a laissé place à un spectacle sonore inquiétant. “Nous avons entendu un grand bruit à la tombée de la nuit”, se souvient le chercheur.
Ce bruit n’est pas nouveau. Depuis longtemps, les alpinistes et les habitants de la région rapportent avoir entendu des sons étranges provenant du sommet de l’Everest la nuit. Certains les comparent à des coups de tonnerre, d’autres à des coups de canon ou à des explosions. Ces sons sont si forts qu’ils peuvent être entendus à des centaines de kilomètres à la ronde.
Mais personne ne savait vraiment ce qui les provoquait. Certains pensaient qu’ils étaient dus à des avalanches ou à des chutes de pierres. D’autres évoquaient des phénomènes paranormaux ou des manifestations divines. Mais aucune explication scientifique n’avait été avancée jusqu’à présent.
La glace qui se fissure sous l’effet du froid
Pour comprendre ce qui se passait, les scientifiques ont placé des capteurs dans la glace pour mesurer les vibrations au plus profond du glacier. Ils ont ensuite analysé les données sismographiques et ont découvert que les bruits étaient causés par la fracturation thermique de la glace. En effet, la température chute brutalement la nuit sur le sommet de l’Everest, passant de plus de 10 degrés Celsius le jour à moins de 15 degrés Celsius la nuit. Cette variation provoque des tensions dans la glace qui finit par se fissurer et se briser avec fracas.
La fracturation thermique est un processus physique qui se produit lorsque la glace subit une variation rapide de température. La glace se contracte lorsqu’elle se refroidit et se dilate lorsqu’elle se réchauffe. Si cette variation est trop importante ou trop rapide, la glace ne peut pas s’adapter et se fendille sous la pression. Ces fissures libèrent alors de l’énergie sous forme d’ondes sonores qui se propagent dans l’air.
Ce phénomène est rare et spectaculaire car il nécessite des conditions particulières : une altitude élevée, une absence de débris sur la surface du glacier et une forte amplitude thermique entre le jour et la nuit. Ces conditions sont réunies sur le mont Everest, mais pas sur d’autres glaciers comme ceux des Alpes ou des Andes.
Une découverte importante pour comprendre les glaciers
Cette étude, publiée dans la revue Geophysical Research Letters, est l’une des premières à montrer un niveau aussi élevé d’activité sismique causée par la fracturation thermique de la glace. Elle apporte un nouvel éclairage sur le comportement des glaciers face au réchauffement climatique. “La glace locale s’avère très sensible à ce taux élevé de changement”, explique Podolskiy.
Les glaciers de l’Himalaya sont en effet menacés par la fonte accélérée due au changement climatique. Selon une étude publiée en 2020 dans la revue Science Advances, ils ont perdu près d’un quart de leur masse entre 1975 et 2016. Cette fonte a des conséquences dramatiques pour les populations qui dépendent de l’eau des glaciers pour leur survie.
Les glaciers de l’Himalaya servent en effet de réservoirs naturels qui libèrent de l’eau de fonte en période de sécheresse. Ils alimentent ainsi les grands fleuves d’Asie comme le Gange ou le Brahmapoutre, qui fournissent de l’eau potable, agricole et hydroélectrique à plus d’un milliard de personnes.
Cette étude vient donc enrichir les connaissances sur ces systèmes fragiles et précieux. Elle permet également de mieux comprendre le comportement des glaciers et d’anticiper leurs réactions face au changement climatique. Elle montre aussi que le mont Everest n’est pas seulement un sommet majestueux, mais aussi un géant vivant qui s’exprime la nuit.