En Indonésie, le peuple Bajau vit de la pêche depuis des siècles. Ses membres sont notamment capables de rester près de 13 minutes sous l’eau en apnée et de descendre à plus de 60 mètres de profondeur. Une étonnante adaptation génétique et des capacités hors-normes qui fascinent les scientifiques. Explications.
LE « PEUPLE DE LA MER »
Lorsque vous plongez la tête sous l’eau et restez en apnée, votre corps s’adapte. Votre fréquence cardiaque est ralentie et votre rate et vos vaisseaux sanguins se contractent. Des réactions physiologiques indispensables qui vous permettent de réduire au maximum votre consommation d’oxygène.
Si un individu lambda peut retenir sa respiration quelques dizaines de secondes et un sportif entraîné quelques minutes, cela reste bien loin des véritables records d’apnée établis par les Bajau, un peuple indonésien nomade vivant principalement de la pêche et de la chasse au harpon.
Certains de ses membres sont en effet capables de rester en apnée durant près de 13 minutes et de descendre à plus de 60 mètres de profondeur. Une performance tout simplement monumentale qui s’expliquerait en grande partie par une mutation génétique.
Comme le confirme l’étude parue récemment dans la revue scientifique Cell, les Bajau possèdent une rate beaucoup plus développée que la plupart des humains, et celle-ci, notamment chargée de renouveler les globules rouges, leur permet de rester en apnée beaucoup plus longtemps.
La contraction de la rate permet en effet d’injecter un surplus de globules rouges oxygénés dans le système sanguin, et une seule et unique contraction de cette dernière provoque une augmentation de 2,8 % à 9,6 % de la teneur en oxygène du sang, selon les auteurs de l’étude.
Des études antérieures avaient démontré que certains mammifères marins passant la majorité de leur vie sous l’eau possédaient des rates disproportionnées, et c’est ce qui a poussé Melissa Llardo, auteure de l’étude, à rechercher cette caractéristique chez l’homme.
https://www.youtube.com/watch?v=k0Aqi9wTUoA
Après avoir appris l’existence de ces nomades de la mer indonésiens aux capacités hors-normes, la scientifique a décidé d’aller à leur rencontre et d’effectuer différents tests.
Melissa Llardo a comparé leurs capacités physiques à celles des Saluan, un autre peuple vivant également en Indonésie, et est arrivée à la conclusion troublante que la taille moyenne de la rate d’un Bajau était 50 % plus grande que celle d’un Saluan.
Son équipe a également découvert que le gène PDE10A, chargé de contrôler la sécrétion d’une hormone thyroïdienne ayant une incidence sur la taille de la rate et les capacités d’oxygénation d’un individu, était présent chez les Bajau et non chez les Saluan. Preuve supplémentaire de l’adaptation génétique de ce peuple de la mer au fil de siècles.
https://www.youtube.com/watch?v=4ZJf2EmUwJU
Pour Richard Moon, de la Duke University School of Medecine, une rate surdimensionnée n’est pas le seul élément qui explique les capacités légendaires des Bajau en matière d’apnée. Le scientifique estime en effet que leur mode de vie a également une incidence sur leurs performances.
Lorsqu’il est exposé à des conditions extrêmes de façon répétée, le corps humain s’adapte. Habitués à plonger durant de longues minutes dès leurs plus âge, les Bajau possèdent probablement une cage thoracique plus large que la moyenne, et cet « entrainement intensif » leur permet également d’améliorer drastiquement leurs capacités respiratoires.
Avec pour seul équipement des poids et un masque en bois, ces derniers peuvent en effet passer jusqu’à 60 % de leur journée de travail de 8 heures à plonger à la recherche de poissons, pieuvres et autres crustacés.
L’étude des capacités physiques hors du commun du peuple Bajau pourrait notamment aider les scientifiques à mieux comprendre le phénomène de l’hypoxie aiguë, caractérisé par une perte rapide d’oxygène entrainant la mort dans la majorité des cas.
L’ÉTUDE DES CAPACITÉS PHYSIQUES UNIQUES DES BAJAU POUR AIDER LES SCIENTIFIQUES À MIEUX COMPRENDRE LE PHÉNOMÈNE DE L’HYPOXIE AIGÜE
Malheureusement, les chercheurs vont devoir faire vite, car le mode de vie de ces nomades de la mer indonésien se trouve de plus en plus menacé. Considérés comme un peuple marginalisé, les Bajau ne bénéficient pas des mêmes droits que les Indonésiens, et la pêche industrielle menace directement leur survie en détruisant de nombreux écosystèmes et en les privant de ressources vitales, ce qui pousse nombre d’entre eux à délaisser le mode de vie traditionnel qui fait leur renommée.