Grâce au télescope James-Webb, des structures jamais vues jusqu’ici dans l’atmosphère de Saturne bousculent nos modèles.

James-Webb perce les couches supérieures de Saturne, longtemps inaccessibles
Saturne. Une icône céleste. Ses anneaux majestueux, son vortex en forme d’hexagone au pôle nord, ses lunes gelées… Depuis des décennies, on croyait bien connaître la géante. Mais sous son apparente régularité, elle cachait encore des secrets.
Ainsi, en novembre 2024, un regard neuf se pose sur elle. Pas celui d’une sonde en orbite, non : celui, perçant et immobile, du télescope spatial James-Webb.
Pendant dix heures d’observation continue, son spectrographe infrarouge NIRSpec plonge dans les couches hautes de l’atmosphère saturnienne. Là où, même la mission Cassini, pourtant mythique, avait échoué à voir clairement.
Et ce que les chercheurs découvrent dépasse toutes les attentes. En effet, ils observent des structures atmosphériques inédites, aux allures de bijoux discrets et de figures incomplètes. Autrement dit, Saturne a encore bien des secrets à dévoiler.
D’étranges perles sombres flottent à plus de 1 000 km d’altitude
Les premières anomalies surgissent dans l’ionosphère, à environ 1 100 km au-dessus des nuages visibles. Ici, l’ambiance est rare, magnétique, presque fantomatique. Pourtant, au milieu des halos lumineux des aurores polaires apparaissent de petites zones sombres, comme des taches sur un velours infrarouge.
On les appelle « perles », même si elles n’ont rien de solide. Ce sont, plus précisément, des signatures spectrales : des zones où le rayonnement infrarouge est plus faible, comme si quelque chose absorbait ou freinait l’énergie.
Ce qui fascine les scientifiques, c’est leur régularité. En effet, elles forment des motifs cohérents, stables sur plusieurs heures, s’étalant sur des centaines de kilomètres.
Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer un simple hasard. Mais alors, qu’est-ce qui les génère ? Une interaction avec la magnétosphère ? Une instabilité énergétique ? Ou un tout nouveau type de phénomène atmosphérique ? Autant de questions qui restent, pour l’instant, sans réponse.
Une étoile à quatre branches déséquilibrée se dessine dans la stratosphère
Descendons maintenant de quelques centaines de kilomètres. Dans la stratosphère, autour de 600 km d’altitude, un autre mystère attend.
Là, les instruments captent une structure étoilée, mais pas celle que l’on connaît dans les manuels. En effet, cette étoile n’a que quatre branches, au lieu de six. Deux manquent à l’appel. Résultat : une forme bancale, asymétrique, presque déconcertante par son imperfection.
Ses bras s’étendent du pôle vers l’équateur, formant un motif unique à cette altitude. Et surtout : la branche la plus prononcée semble alignée avec la perle sombre la plus marquée dans l’ionosphère, juste au-dessus. S’agit-il d’un simple hasard ? Peut-être. Néanmoins, l’alignement soulève des interrogations.
Les nouvelles structures semblent alignées avec l’hexagone polaire de Saturne
Mais ce n’est pas tout. En superposant les données, les chercheurs remarquent que les perles sombres et les bras de l’étoile apparaissent au-dessus des sommets de l’hexagone polaire. Ce gigantesque courant-jet, observé pour la première fois par Voyager dans les années 1980, dessine un polygone parfait de près de 30 000 kilomètres de large.
Jusqu’ici, on pensait que l’hexagone était confiné aux couches nuageuses. Or, ces nouvelles observations suggèrent qu’il pourrait influencer l’atmosphère bien plus haut, jusqu’à l’ionosphère. En d’autres termes, comme une colonne de transmission verticale, capable de façonner des motifs dans toutes les strates.
Les chercheurs avancent plusieurs hypothèses sans parvenir à trancher
Face à ces anomalies, les scientifiques britanniques, américains et français restent prudents. Car pour l’instant, les données soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
D’une part, les perles sombres pourraient être liées à des variations dans la concentration des ions H₃⁺, des particules clés dans les réactions chimiques à haute altitude. Ces variations modifient le rayonnement infrarouge, ce qui expliquerait l’apparition de ces zones sombres.
D’autre part, l’étoile déséquilibrée pourrait résulter d’ondes atmosphériques remontant des couches inférieures, ou encore d’effets de la force de Coriolis, exacerbés par la rotation rapide de Saturne.
Cependant, rien n’est certain. À ce jour, aucun modèle ne permet de reproduire ces structures. Et même l’idée d’un lien vertical entre perles, étoile et hexagone reste, pour le moment, à confirmer.
Vers une réécriture des dynamiques atmosphériques des planètes géantes ?
Une chose est sûre : cette observation constitue une véritable première. Une percée qui pourrait changer non seulement notre compréhension de Saturne, mais aussi de l’ensemble des planètes géantes.
Actuellement, Saturne est en équinoxe : ses hémisphères reçoivent la même quantité de lumière. Ce moment rare pourrait révéler des dynamiques saisonnières jusque-là invisibles, en particulier dans les couches les plus élevées de son atmosphère.
Mais au-delà du cas saturnien, c’est toute une nouvelle lecture des atmosphères planétaires qui s’impose. Ces structures inattendues suggèrent qu’il existe des couplages verticaux profonds, des mécanismes énergétiques encore inconnus, des phénomènes silencieux dans les couches ténues.
Finalement, et si, dans chaque planète géante, il existait un ordre caché ? Une logique complexe qu’on commence à peine à deviner ? Saturne, longtemps considérée comme élégante mais prévisible, devient aujourd’hui l’énigme la plus fascinante du système solaire.
Par Eric Rafidiarimanana, le