
Après quarante ans d’attente, un problème jugé insoluble vient enfin de trouver sa solution. Neuf chercheurs ont démontré la conjecture géométrique de Langlands, un résultat majeur qui pourrait transformer notre compréhension des mathématiques fondamentales.
D’une lettre manuscrite en 1967 à une preuve monumentale publiée six décennies plus tard
En 1967, le mathématicien canadien Robert Langlands adresse une lettre audacieuse à André Weil. Il y expose une idée ambitieuse : relier deux domaines apparemment éloignés, la théorie des nombres et l’analyse harmonique.
Cette vision, baptisée programme de Langlands, séduit rapidement par son ambition unificatrice. Edward Frenkel, professeur à Berkeley, la qualifie même de « grande théorie unifiée des mathématiques ».
Dans les années 1980, Vladimir Drinfeld transpose cette idée dans un cadre géométrique, appliqué aux mystérieuses surfaces de Riemann – sphères, tores ou formes encore plus complexes.
Contrairement à la version arithmétique, la version géométrique présente une proximité frappante entre ses deux aspects. Ainsi, elle constitue un tremplin idéal pour attaquer la version arithmétique, bien plus complexe. Dès lors, elle attire depuis quarante ans l’attention de chercheurs du monde entier.
Une démonstration qui ouvre plus de portes qu’elle n’en ferme
Sous la direction de Dennis Gaitsgory et Sam Raskin, une équipe internationale a prouvé la conjecture géométrique. Le résultat, détaillé dans cinq articles totalisant près de 1 000 pages, a valu à ses auteurs le prestigieux Breakthrough Prize.
Pour David Ben‑Zvi, de l’université du Texas, « plutôt que de fermer une porte, cette preuve en ouvre une douzaine d’autres ». En effet, elle suscite déjà de nouvelles recherches, notamment sur les versions locales des conjectures de Langlands.
Ces approches locales fonctionnent comme un zoom sur une portion précise d’une surface mathématique. De plus, elles offrent une résolution plus fine que l’approche globale traditionnelle.
Par ailleurs, des chercheurs comme Peter Scholze et Laurent Fargues ont imaginé un “trou de ver” théorique reliant le domaine géométrique au domaine arithmétique, renforçant ainsi le lien entre les deux visions.
Quand les structures mathématiques dialoguent avec la physique quantique
En 2007, Edward Witten et Anton Kapustin découvrent que la symétrie géométrique de Langlands correspond à celle de certaines théories de jauge quantique utilisées dans le modèle standard des particules.
Ainsi, des structures mathématiques apparemment abstraites pourraient refléter des symétries fondamentales de l’univers physique. En conséquence, des liens inédits se tissent entre la théorie quantique des champs et la théorie des nombres.
Pour l’instant, la preuve concerne uniquement le cas non ramifié, où les surfaces se comportent de manière régulière. Toutefois, les chercheurs s’attaquent déjà au cas ramifié, qui inclut des singularités et des comportements chaotiques. C’est pourquoi cette étape mobilise des experts comme Jessica Fintzen, spécialiste des groupes p‑adiques, afin de combiner les approches.
Vers une nouvelle ère pour les mathématiques et la physique
Cette avancée ne clôt pas le programme de Langlands : elle ouvre une ère nouvelle où mathématiques pures et physique théorique convergent. Edward Frenkel le rappelle : « Nous ne les comprenons pas vraiment. Elles sont encore cachées. »
En définitive, cette démonstration marque un jalon historique. Dès lors, elle pourrait redessiner les liens entre mathématiques et physique… et ce n’est que le début de l’aventure.
Par Eric Rafidiarimanana, le
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