Et si les plus petites traces de vie préhistorique racontaient les plus grandes histoires ? Ces os minuscules, laissés par des oiseaux il y a 40 000 ans, nous livrent aujourd’hui des indices cruciaux sur les comportements des Néandertaliens.

À la grotte de la Crouzade, Néandertal chassait déjà le pigeon avec précision
Pendant longtemps, on a imaginé Néandertal comme un chasseur de grands animaux : mammouths, bisons, rhinocéros. Mais les récentes analyses de la grotte de la Crouzade, dans l’Aude, racontent une tout autre histoire.
À l’intérieur, des os d’oiseaux vieux de 40 000 ans, appartenant à des pigeons bisets et à des corvidés, montrent qu’il consommait aussi des petites proies.
Ces oiseaux, qui nichaient dans les falaises calcaires proches, cohabitaient avec l’Homme de Néandertal. Celui-ci savait probablement tirer profit de leur proximité. Une idée qui semble anodine, pourtant elle change profondément notre compréhension de ses pratiques de chasse.

Marques de cuisson et découpes précises : un savoir-faire culinaire ancien mais précis
Les scientifiques ont identifié moins de 2 % d’os présentant des traces humaines claires. Parmi elles : marques de chauffe, découpes au silex et signes de désarticulation. Sur certains sternums, on observe des stries qui témoignent de l’extraction des muscles pectoraux, l’équivalent de nos « blancs de poulet ».
En outre, certains indices révèlent un usage plus élaboré. Des plumes prélevées, peut-être pour un usage symbolique, décoratif ou fonctionnel. Les corvidés, notamment, montrent des marques sur des os peu charnus comme l’ulna.
Cela suggère que Néandertal portait attention à bien plus que la seule viande. Ce savoir-faire discret mais réel éclaire une facette inattendue : celle d’un homme précis et méthodique.

Une stratégie locale pragmatique fondée sur la disponibilité immédiate des proies
Ce qui frappe aussi, c’est que les modifications humaines apparaissent presque exclusivement sur les oiseaux présents naturellement dans l’environnement immédiat.
Aucune trace d’intervention humaine sur des espèces « étrangères » comme les canards ou les perdrix. Cela montre que Néandertal agissait en fonction de ce qu’il avait sous la main, avec un bon sens écologique et logistique.
Sa stratégie de chasse ne visait pas la performance, mais l’efficacité. Les ressources disponibles, faciles à atteindre, étaient exploitées sans surexploitation. Une logique locale, simple, mais terriblement moderne dans son approche. Cette économie de moyens témoigne d’un savoir pragmatique plus qu’archaïque.
Une exploitation multiple : chair, plumes et peut-être même symboles culturels
Les stries situées sur certaines zones charnues, comme le fémur ou le sternum, attestent la récupération de la viande. Mais ce n’est pas tout. Des traces sur des os plus fins, comme l’ulna ou le carpométacarpe, évoquent des gestes liés à l’arrachage de plumes.
Certaines hypothèses évoquent un usage culturel ou rituel, comme observé dans d’autres grottes de la péninsule Ibérique.
Autrement dit, Néandertal ne se contentait pas de manger. Il sélectionnait, prélevait, parfois transformait. Loin de l’image du chasseur brut, il apparaît ici comme un utilisateur averti des ressources naturelles. Un peu comme nous, lorsqu’on trie nos aliments ou qu’on choisit la meilleure pièce pour une recette, il faisait preuve de discernement.
Ce que ces petits os nous racontent vraiment sur Néandertal
Ces fragments d’os d’oiseaux, trouvés dans un recoin calcaire de l’Aude, bouleversent notre idée reçue de la Préhistoire. Derrière les traces de chauffe et les stries de silex, c’est tout un pan du génie quotidien de Néandertal qui réapparaît.
Ce que je retiens, c’est que la capacité humaine à tirer parti de son environnement, à faire preuve d’ingéniosité face à la diversité des ressources, est bien plus ancienne que nous ne le pensions. Néandertal n’était pas un simple survivant, il était déjà un explorateur de possibles, un précurseur de notre humanité.
Par Eric Rafidiarimanana, le
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