Un phénomène encore sous-estimé, aggravé par le réchauffement, qui pourrait bouleverser notre lutte contre le CO₂. Chaque année, la foudre tue 320 millions d’arbres à travers le monde. Un chiffre colossal, passé inaperçu jusque-là, que des chercheurs viennent enfin de mettre en lumière.

Ce phénomène, longtemps considéré comme marginal, représente en réalité un facteur majeur de perte de biomasse. Il menace notre capacité à stocker du carbone, au moment même où la lutte contre le changement climatique s’intensifie.
La foudre tue plus d’arbres qu’on ne le pense, et personne n’en parle
Quand on pense aux menaces qui pèsent sur nos forêts, on cite spontanément la déforestation, les incendies, les ravageurs. Pourtant, il existe un fléau moins visible, presque silencieux, qui fait des ravages à l’échelle mondiale : la foudre. Contrairement aux causes bien connues de destruction forestière, celle-ci agit de manière diffuse, sans éveiller l’attention du public ni même des politiques de préservation.
C’est ce qu’a démontré une étude de l’université technique de Munich, publiée dans la revue Global Change Biology. Les chercheurs ont utilisé un modèle mathématique sophistiqué, combinant des données de terrain, des cartes de végétation et des relevés d’impacts de foudre. Résultat : chaque année, 320 millions d’arbres meurent à cause de la foudre. Soit entre 2,1 et 2,9 % de la perte annuelle de biomasse végétale. Un chiffre qui dépasse largement les prévisions initiales.
Un impact direct sur le carbone, passé sous les radars des climatologues
La disparition de ces arbres ne passe pas inaperçue pour la planète. Leur décomposition libère entre 0,77 et 1,09 milliard de tonnes de CO₂ par an. À titre de comparaison, cela correspond presque aux émissions mondiales dues aux feux de forêts naturels, estimées à 1,26 milliard de tonnes. Ce seul chiffre suffirait à faire de la foudre un sujet prioritaire dans les études environnementales.
Et ce n’est pas tout. Ces chiffres n’incluent même pas les arbres perdus à cause des feux déclenchés directement par des impacts de foudre. En d’autres termes, la contribution réelle de ce phénomène à la déforestation et aux émissions pourrait être encore plus élevée. Et plus grave encore : aucun modèle climatique actuel ne l’intègre correctement.
Cela soulève un vrai paradoxe : on compte sur les forêts pour absorber le CO₂ que nos activités relâchent. Mais une part non négligeable de cette biomasse se volatilise chaque année à cause de phénomènes naturels, amplifiés par le réchauffement. La boucle est vicieuse.
Des régions entières menacées à mesure que les éclairs se multiplient
Le plus inquiétant, c’est que cette tendance va s’intensifier. En effet, le réchauffement climatique augmente la fréquence des éclairs, notamment dans les zones tempérées et boréales. Ces régions, jusqu’ici relativement préservées, pourraient bientôt devenir des points chauds de la mortalité forestière liée à la foudre. L’équilibre écologique de vastes territoires pourrait en être profondément altéré.
Ce constat remet en cause de nombreux modèles climatiques qui n’intègrent pas, ou mal, cette source de mortalité. Et pourtant, son rôle devient de plus en plus important dans la dynamique globale des puits de carbone. Car moins d’arbres vivants, c’est moins de stockage, plus d’émissions, et donc une accélération du dérèglement. Un cercle vicieux, difficile à enrayer si rien n’est fait.
Face à cela, les scientifiques appellent à prendre en compte plus systématiquement ce type de perturbation dans les politiques de gestion forestière et les projections climatiques. Il ne s’agit pas seulement de mieux mesurer, mais aussi d’anticiper l’effet domino que cette mortalité invisible pourrait provoquer. La science doit désormais jouer un rôle de sentinelle.
Les arbres sont des alliés précieux. Mais ils deviennent vulnérables, même face aux forces naturelles que l’on croyait aléatoires. La foudre, en silence, redéfinit l’équilibre fragile entre forêt et climat. Et si nous voulons conserver nos remparts verts contre le CO₂, il est peut-être temps d’ouvrir les yeux sur ce phénomène oublié.
Par Eric Rafidiarimanana, le