
Sous la péninsule Antarctique, des chercheurs percent jusqu’à 500 m sous la surface de l’océan. Leur objectif ? Extraire des carottes de boue sédimentaire.
Ces échantillons sont de véritables archives du passé marin. Grâce à l’ADN environnemental, à l’analyse du carbone enfoui et à la traque des restes de baleines, l’équipe internationale redonne à ces géants marins un rôle méconnu dans la régulation climatique mondiale.
Des carottes de boue : une lecture stratigraphique des écosystèmes et du carbone plongé dans l’histoire
Les scientifiques arrachent du fond de l’océan Austral, à la manière d’un gigantesque « vide-pomme », des tubes métalliques de boue figée. Ils descendent jusqu’à 500 m de profondeur autour de la péninsule Antarctique, autrefois un sanctuaire de la faune marine. Cette région a été décimée par la chasse industrielle, mais elle est aujourd’hui protégée.
Chaque strate sédimentaire est un chapitre temporel. Dès leur remontée, les carottes sont conservées à -80 °C pour préserver leur intégrité. Ensuite, elles sont découpées, partagées entre institutions scientifiques, puis analysées pour en extraire la trace biologique, chimique et climatique.
C’est un peu comme si la Terre écrivait, ligne après ligne, les bouleversements de son propre équilibre. On y lit les changements dans les populations de krill, de poissons et de baleines, mais aussi les pics de pollution plastique. De plus, les dérèglements liés à l’activité humaine depuis le XXe siècle apparaissent clairement.
Pour les chercheurs, ces archives naturelles sont plus qu’un simple témoin du passé. En effet, elles offrent une clé précieuse pour anticiper les réponses des écosystèmes marins face aux mutations climatiques actuelles.
L’ADN environnemental révèle les baleines disparues et leur rôle caché dans le stockage du carbone
Grâce à l’ADN environnemental (eDNA), même de minuscules fragments génétiques permettent de remonter les populations passées. Cela inclut notamment les baleines chassées jusqu’à quasi-extinction.
Cette technologie éclaire la manière dont la disparition de ces géants marins a modifié la pompe biologique à carbone. Il s’agit du mécanisme naturel par lequel le carbone est séquestré dans les profondeurs océaniques.
On parle ici d’une véritable mémoire écologique. Elle révèle non seulement les espèces disparues, mais aussi comment leur absence a influencé l’équilibre global. Par conséquent, les scientifiques espèrent quantifier l’impact climatique d’un siècle de surexploitation de ces mammifères.
Cette approche constitue une révolution. Elle bouleverse notre compréhension du lien entre biodiversité marine et climat. Ainsi, elle pourrait nourrir de nouvelles politiques de conservation ambitieuses.
Baleines : fertilisatrices, pompes à carbone et gardiennes de l’écosystème
Les baleines ne se contentent pas de stocker du carbone dans leur corps. Leur mort, lente ou brutale, permet aussi une séquestration prolongée. Cela passe notamment par les « whale falls », ces dépôts sédimentaires en fond de mer. Ils stimulent une pompe biologique puissante. Un seul corps peut équivaloir à plusieurs milliers d’années de flux de carbone naturel, concentré sur quelques mètres carrés.
En surface, leurs excréments nutrient-rich fertilisent le phytoplancton. Riches en fer, azote et phosphore, ils stimulent toute la chaîne trophique. Ce mécanisme permet donc de capter naturellement davantage de CO₂.
De plus, chaque baleine vivante stocke des dizaines de tonnes de CO₂. Leur impact climatique est souvent supérieur à celui des arbres terrestres.
Cette capacité méconnue a un nom : la « whale pump », ou pompe à baleine. En migrant entre profondeur et surface, ces colosses redistribuent les nutriments et stimulent la photosynthèse des micro-algues.
Autrement dit, plus il y a de baleines, plus l’océan respire et fixe du carbone. Aujourd’hui, alors que les solutions climatiques fondées sur la nature sont au cœur des débats internationaux, protéger et restaurer les baleines apparaît comme une stratégie crédible. Et aussi poétique que puissante.
Par Eric Rafidiarimanana, le
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Catégories: Sciences, Animaux & Végétaux