À l’heure où la rentrée des classes a finalement eu lieu, tant bien que mal, dans l’Hexagone, on s’interroge encore sur le meilleur moyen de reprendre le cursus scolaire dans un contexte pandémique qui n’a pas encore dit son dernier mot. La santé de notre population dépendrait-elle de ce concept innovant qui nous vient tout droit de la lutte contre la tuberculose au siècle dernier : les écoles de plein air ?

Les écoles de plein air poussent comme des champignons dans la nature

Au début du XXe siècle, dans un souci de préserver les enfants de la tuberculose, gouvernements, municipalités, professionnels de santé, pédagogues novateurs, urbanistes et associations philanthropiques se concertent et donnent naissance aux écoles de plein air. Ce projet, qui vise à assurer la scolarité des enfants chétifs issus des couches sociales défavorisées du milieu urbain, s’inscrit dans la politique sociale de prévention contre la tuberculose. Alors responsable de la mort d’une personne sur sept en Europe et aux États-Unis, la tuberculose est la seconde maladie infectieuse la plus mortelle après la grippe. 

© Nationaal Archief / Wikimedia Commons école en plein air aux Pays-Bas (1918)

Selon Robert Knoch, médecin allemand célèbre pour sa découverte de la bactérie responsable de la tuberculose, “ces enfants sont moins à risque de contaminer leurs petits camarades” au grand air qu’entassés dans des villes surpeuplées et des appartements bondés, à dormir à plusieurs dans les mêmes draps. Peu naturelles et insalubres, ces habitations urbaines toxiques sont considérées comme un vecteur de transmission important de la maladie chez les enfants d’âge scolaire, qui sont amenés à côtoyer leurs camarades au quotidien. La salle de classe typique, surchauffée, constitue également un environnement toxique. La solution ? Éduquer ces enfants à ciel ouvert, dans un cadre protégé où ils peuvent profiter des bienfaits du soleil et respirer le bon air. La première de ces écoles, baptisée Waldschule (école forestière), naît en 1904 en Allemagne, dans une région prospère aux alentours de Berlin. Elle accueille les “enfants fragiles de familles dans le besoin” au coeur d’une pinède. 

Plumes et encrier MoreVector / Shutterstock.com

Cette expérience fait sensation, et dès 1908, les écoles de plein air se multiplient en Europe, puis à travers le monde, suivant le modèle précurseur allemand tout en s’adaptant à la culture du pays d’implantation. Elles prolifèrent par centaines entre 1910 et 1925, obtenant entre autres le soutien d’associations anti-tuberculose eugénistes.

La présence diffuse de ces associations ne cesse de croître, notamment aux États-Unis où S. Adolphus Knopf, un spécialiste de la tuberculose d’origine allemande, exhorte l’Académie nationale de médecine des États-Unis à agir en faveur d’un environnement éducatif privilégiant le grand air. À l’image de celle de nombreux grands théoriciens de sa génération, l’approche scientifique de Knopf est basée sur les principes racistes de la théorie eugéniste. Il voit les écoles de plein air comme un moyen efficace de lutter contre la propagation de l’épidémie afin d’investir dans une jeunesse qui repeuplera sainement les générations futures. Dans ce pays d’outre-Atlantique où l’immigration, la rapide croissance urbaine et l’école obligatoire font grimper les demandes d’inscription scolaire en flèche, les écoles de plein air poussent même au cœur des villes.

Jeune fille étudiant sur l’herbe Rawpixel.com / Shutterstock.com

La rééducation sociale et une reconception de l’urbanisme limitent la propagation de l’épidémie

La découverte par Robert Koch en 1882 du bacille qui porte son nom conduit à l’élaboration d’un test de dépistage de la tuberculose, le test Mantoux, plus connu sous le nom de cuti-réaction. S’il est rare qu’un enfant meure de la tuberculose, ce test révèle toutefois qu’un grand nombre d’enfants asymptomatiques est infecté par la maladie. Plus inquiétant encore, une autre découverte révèle en 1903 que l’infection tuberculeuse infantile peut s’avérer latente, refaisant surface à l’âge adulte.

En 1905, Robert Koch confirme que la tuberculose se transmet par voie aérienne, en d’autres termes par l’expulsion, lors d’une toux, d’un raclement de gorge ou d’une conversation, de gouttelettes contaminées par la bactérie qui restent en suspension dans l’air. En l’absence de traitement ou de vaccin, ce constat pousse les gouvernements à prendre des mesures de prévention. Distanciation sociale et grands espaces sont dorénavant à l’ordre du jour.

En forêt oksanka007 / Shutterstock.com

Dans cet esprit, les professionnels de santé s’attachent à rééduquer les habitudes comportementales de leurs contemporains et à repenser l’environnement. De grands panneaux d’avertissement rappellent de ne pas cracher au sol, une pratique courante à l’époque. Les professionnels de santé prônent les bienfaits de l’air frais et du sport. Parcs et aires de jeux sont réclamés à cor et à cri pour servir de poumons aux populations urbaines. La réduction du nombre d’habitants par logement devient un sujet de croisade, et pour les architectes, les délégués municipaux et les spécialistes de la santé, “air frais”, “lumière” et “grands espaces” deviennent une priorité.

© Thomas BRENAC / Wikimedia Commons école en plein air en France, 1930’s

Retour aux sources avec bonnets et gants de laine pour fournitures scolaires

Moyennant paiement, des sanatoriums de plein air sont accessibles aux couches sociales aisées, laissant les plus démunis pour compte. Les gouvernements, qui ont cependant pris conscience que la santé et la résistance physique d’une nation sont inextricablement liées à ses écoles, instaurent l’éducation en plein air au profit des enfants de familles de travailleurs. Pour résister à l’exposition au froid, considérée comme bénéfique pour le corps humain dont il stimule l’appétit et accroît l’activité respiratoire et vasculaire, les écoliers se voient distribuer des bonnets et des gants de laine, de même que des surchaussures et une sorte de sac de couchage qui leur permettent de rester assis au chaud.

Enfants et bonhomme de neige Bannykh Alexey Vladimirovich / Shutterstock.com

Après la Seconde Guerre mondiale, grâce à de nouveaux antibiotiques, la mortalité imputée à la tuberculose chute et les écoles de plein air tombent en désuétude. Mais aujourd’hui, la pandémie de Covid-19 nous force de nouveau à repenser notre mode de vie. Le port du masque et la distanciation sociale sont devenus obligatoires, et l’importance du renouvellement naturel de l’air revient en force sur la liste des priorités. Dans ce contexte, et suite à la fermeture des écoles qui a contraint les parents à jongler avec enseignement à distance et autres obligations pendant plusieurs mois, certains se demandent s’il ne faudrait pas envisager un retour de masse à l’éducation en plein air où le risque de transmission du virus est potentiellement plus faible.

Adolescents étudiant en plein air Rawpixel.com / Shutterstock.com

Après bientôt un an d’inquiétude, de questionnements, de mesures plus ou moins strictes, d’enseignement à distance, de télétravail et de retranchement de la vie sociale pour lutter contre cette crise sanitaire d’envergure, la question des écoles de plein air n’est qu’une préoccupation parmi tant d’autres. Ce nouveau fléau, qui assujettit la population mondiale à son pouvoir de virus tout-puissant, a également pris le temps de mettre à nu les inégalités socio-économiques qui sévissent dans le monde entier, que ce soit l’injustice des systèmes de santé américain et italien, la crise de l’hôpital avec son manque de moyens et de personnel en France, ou, partout au monde, les dures conditions de travail du personnel soignant qui court en prime le plus grand risque d’être exposé au Covid-19.

Ecole en plein air en Allemagne (1904)

Mais l’histoire et la raison d’être des écoles de plein air, qui ont servi une cause plus que légitime, nous rappellent que ce qui était possible hier l’est encore aujourd’hui.

Seriez-vous en faveur des écoles de plein air pour lutter contre les maladies infectieuses ?

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