Parfois surnommé « la pucelle de Tonnerre » ou « l’amazone du jour », Charles Geneviève d’Eon de Beaumont, alias le chevalier d’Eon, était l’un des espions les plus célèbres de Louis XV. Réputé pour son goût prononcé pour le travestissement, il a vécu habillé en femme pendant 32 ans. Retour sur la vie de l’un des personnages les plus brillants et les plus contradictoires du 18e siècle.

UN ESPION TRAVESTI AU SERVICE DU ROI

Fils d’un noble avocat au parlement de Paris qui dirige également les domaines viticoles du roi, Charles Geneviève d’Eon de Beaumont nait le 5 octobre 1728 à Tonnerre en Bourgogne, où il reçoit une éducation stricte. Il s’installe ensuite à Paris et suit des cours de danse, d’équitation et de maniement d’épée au collège des Quatre-Nations. Il entre ensuite à la faculté de droit et obtient ses certificats d’avocat en 1749.

Lorsque son père décède en octobre 1749, Charles de Beaumont, qui n’a pas hérité d’une grande fortune, fait la connaissance de Berthier qui l’aide à obtenir un poste de censeur royal. Chargé d’apposer sa signature avant l’impression de tout ouvrage, le jeune homme se lance également dans l’écriture et fait la connaissance de plusieurs membres de la cour du roi.

Invité par la comtesse de Rochefort à participer à un bal de carnaval à Versailles, le chevalier d’Eon fait sensation en apparaissant déguisé en femme, un évènement qui va profondément bouleverser sa vie. Fasciné par sa capacité à se travestir, Louis XV lui propose de rejoindre le « Secret du Roi », son célèbre organisme d’espionnage et de renseignements.

Scène de carnaval à la cour de Versailles

Alors que l’alliance entre la Prusse et l’Angleterre menace l’entente de la France avec la Russie, le chevalier d’Eon, qui se fait alors appeler Lia de Beaumont, accompagne l’agent secret écossais Douglas Mackensie en Russie en juillet 1755. Ce dernier étant rapidement démasqué, il revient à Lia d’approcher la tsarine afin de lui remettre la lettre du roi de France.

Introduite comme lectrice à la cour de Russie, Lia mène à bien sa mission et rapporte trois mois plus tard la réponse de la tsarine à Louis XV. Cette dernière ne pouvant accéder à la demande du roi, c’est cette fois sous l’identité du chevalier d’Eon, présenté comme le frère de Lia, que l’espion retourne en Russie et parvient à convaincre la tsarine d’attaquer la Prusse.

Gravure de Charles de Beaumont par J. B. Bradel

À son retour en France, le roi le récompense en lui offrant une pension de trois mille livres ainsi qu’une tabatière en or, il est ensuite nommé lieutenant aux Dragons en 1757. Mais lorsque l’armée franco-autrichienne est défaite, il est contraint de se rendre une nouvelle fois en Russie, afin d’apaiser les tensions entre les deux pays.

Lorsque la guerre éclate en Allemagne, Eon s’illustre en réalisant plusieurs missions périlleuses, ce qui ne l’empêche pas d’être la cible de moqueries de la part de certains généraux, qui le considèrent comme « un roué dangereux, doué d’une grâce de jeune femme ».

Lorsque la tsarine meurt, la paix avec l’Angleterre apparait comme indispensable, étant donné que Catherine II, désormais impératrice de Russie, se révèle être favorable aux Prussiens.

Le chevalier d’Eon débarque en Angleterre en septembre 1762. Il parvient à gagner la confiance du roi Georges III, réussit à mettre la main sur les papiers concernant le futur traité de paix (finalement signé quelques mois plus tard) et les envoie en urgence en France. À son retour au pays, il est ovationné et promu chevalier de l’ordre de Saint-Louis.

Le chevalier d’Eon passera 32 années de sa vie habillé en femme

Quelques mois plus tard, il retourne en Angleterre afin d’organiser le débarquement français qui permettra de vaincre la « Perfide Albion ». Là-bas, il mène une existence fastueuse et organise quotidiennement d’impressionnantes réceptions. Malheureusement, les choses se gâtent lorsque la France refuse de lui faire parvenir les sommes effarantes qu’il réclame.

Le chevalier refuse catégoriquement de retourner en France et de remettre les documents secrets qu’il possède aux émissaires du roi malgré les demandes appuyées du comte de Guerchy, le nouvel ambassadeur qui se trouve également être son ennemi juré. C’est le début d’une longue querelle qui va pousser Guerchy à tenter d’assassiner le chevalier d’Eon.

Accusé de crime de lèse-majesté, Eon perd ses grades et doit se cacher chez un ami sous les traits d’une femme âgée afin d’échapper à la justice. Lorsque Guerchy est reconnu coupable d’assassinat en février 1765, les relations qu’entretient le chevalier avec la France se détendent.

En mars 1771, un émissaire du roi se rend en Angleterre afin de mettre un terme aux rumeurs persistantes voulant que le chevalier d’Eon soit une femme. Après un examen très succinct consistant à « tâter » ses attributs féminins, celui-ci conclut que le chevalier travesti en est bien une. En novembre 1773, un courrier officiel exige d’Eon qu’il s’habille « définitivement » en femme s’il souhaite revenir en France.

Lorsque Louis XV meurt 6 mois plus tard, le « Secret du Roi » est dissout, et son successeur, Louis XVI, propose d’accueillir « la chevalière » sur le territoire français en échange des documents confidentiels qu’elle possède. Après des années de négociations épuisantes, le chevalier accepte finalement de revenir en France en janvier 1777.

Il est officiellement présenté à la cour de Versailles le 23 novembre 1777. Vêtu d’une robe à panier noire, il provoque de nombreux rires dans l’assemblée, peu habituée à ce genre de spectacle. Cet homme travesti aux bras velus qui monte les escaliers quatre à quatre et s’assoit les jambes écartées devient rapidement une véritable attraction que tout le monde s’arrache.

Quand la guerre éclate en Amérique, Eon tente de se faire enrôler au sein des forces françaises sans succès. Il est une nouvelle fois arrêté le 20 mars 1779 après s’être promené dans les rues en uniforme militaire. Il est renvoyé à Tonnerre avec interdiction de quitter la ville et obligation de s’habiller en femme.

Le 9 avril 1787, Saint-George (à gauche) affrontant Eon (à droite) au Carlton House de Londres

Il retourne finalement à Londres en 1785 et participe à des représentations et des combats qui lui permettent de subvenir à ses besoins. En une occasion, il croise même le fer avec le prince de Galles et le chevalier de Saint-George. Lors d’un duel en 1796, il est gravement blessé et passe quatre mois entre la vie et la mort. Hébergé par une amie jusqu’en 1804, il est ensuite emprisonné 5 mois pour non-paiement de ses dettes. Le chevalier d’Eon s’éteint finalement le 21 mai 1810 et la vérité éclate au grand jour lors de sa toilette mortuaire : Charles Geneviève d’Eon de Beaumont était bel et bien un homme.

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