Au fil des siècles, la Syrie a développé de riches traditions musicales. Les ethnies et religions qui s’y sont succédé ont largement contribué à enrichir son patrimoine culturel, et les scientifiques estiment aujourd’hui que c’est dans ce pays qu’est née la première chanson de l’histoire.
Des chansons vieilles de 3 400 ans
Dans les années 1950, des archéologues ont découvert 29 tablettes d’argile vieilles de 3 400 ans lors de fouilles réalisées dans l’ancienne ville portuaire d’Ougarit, située sur la côte méditerranéenne de la Syrie. Si la plupart d’entre elles étaient brisées en de minuscules fragments, la tablette H6 semblait avoir mieux résisté à l’épreuve du temps, mais ce qui y était inscrit restait à l’époque un mystère.
Les historiens ont passé les décennies suivantes à tenter de reconstituer ces tablettes afin de pouvoir percer leurs mystères, mais ce n’est que récemment que le texte de la tablette H6, en écriture cunéiforme babylonienne, a pu être déchiffré, et l’étrange partition musicale qu’elle cachait transcrite et rejouée.
Richard Dumbrill, professeur d’archéomusicologie à l’université de Babylone en Irak, qui a travaillé sur les tablettes d’Ougarit pendant près de 20 ans, explique : « Au départ nous n’avions aucune idée de ce que ces écritures millénaires signifiaient, mais nous savions qu’elles étaient l’œuvre de personnes ayant émigré dans le nord-ouest de la Syrie. »
Après des années de recherches, le professeur Dumbrill a découvert que les signes babyloniens utilisés différaient des modèles dont ils disposaient pour une raison simple : ils étaient le fruit d’un brassage culturel entre les Babyloniens et le peuple hurrite, originaire du nord-est du Caucase.
Peut-être plus incroyable encore, les termes inscrits sur les tablettes étaient complétés par d’étranges annotations, qui se révélaient être le premier exemple connu de notation musicale. En d’autres termes, le scientifique venait de percer les secrets du plus vieil exemple de « chanson » au monde.
Ces compositions musicales antiques nous renseignaient sur la façon dont vivaient les gens à cette époque, et selon Dumbrill, les thèmes couverts étaient extrêmement vastes et ne se résumaient pas à des chants religieux : les chansons proposaient toutes sortes d’ambiances pour tous types d’occasions.
CES CHANSONS ANTIQUES PROPOSAIENT TOUTES SORTES D’AMBIANCES POUR TOUS TYPES D’OCCASIONS
Si certains de ces morceaux abordaient des thèmes plutôt légers, comme l’histoire de cette serveuse qui vendait de la bière aux habitués de la taverne où elle travaillait, d’autres, comme celui inscrit sur la tablette H6, se révélaient bien plus sombres.
« Il s’agit d’une jeune femme qui ne peut pas avoir d’enfants », explique Dumbrill. « Elle pense qu’elle s’est mal conduite et qu’il s’agit d’une malédiction, alors elle prie Nigal, la déesse de la lune et implore sa clémence en lui offrant un pot en étain rempli d’huile de sésame. »
La Syrie, terre de brassage culturel au patrimoine musical riche
Durant l’Antiquité, un riche éventail d’instruments de musique a fait son apparition en Syrie. Parmi les plus célèbres on peut citer la lyre, un instrument à cordes pincées très populaire destiné à accompagner le chant, ou l’oud, apparu à Babylone vers 1 800 avant Jésus-Christ.
Au cours du 20e siècle, les historiens ont découvert à Mari, une ville de Syrie située sur les rives de l’Euphrate, un certain nombre de documents détaillant comment ces instruments étaient fabriqués.
Selon les tablettes, l’invention de ces instruments, fabriqués à partir de cuir, de bois et de boyaux filés, remonterait à environ 4 000 ans, et aurait été largement inspirée par d’autres instruments orientaux, preuve définitive que la Syrie était à l’époque une importante terre de brassage culturel.
La production d’instruments de musique a continué à prospérer en Syrie au cours des siècles suivants, et nombre d’entre eux sont désormais précieusement conservés dans les musées du pays.
Aujourd’hui, de nombreux groupes locaux réinventent la musique traditionnelle syrienne en la modernisant afin de la faire connaître à un public plus large, comme l’explique Mona Al Merstany, chanteuse d’Assa’Aleek : « Il est important de préserver cette musique parce qu’elle nous définit. C’est ce que nous avons et ce que nous sommes. »
« IL EST IMPORTANT DE PRÉSERVER CETTE MUSIQUE PARCE QU’ELLE NOUS DÉFINIT »
Elle ajoute : « Ce n’est pas juste un pays, c’est l’un des plus anciens pays au monde, et il est indispensable de mettre son héritage musical en avant. Quand on me demande ce qu’est la Syrie, je réponds que c’est l’un des berceaux de l’art et de la musique. »
Incroyablement riche, le patrimoine musical syrien a largement évolué depuis la naissance de la première chanson au monde, gravée il y a 3 800 ans sur les tablettes d’argile découvertes à Ougarit. Il est aujourd’hui perpétué par de jeunes groupes pour qui la musique représente un moyen de combattre les injustices et de sensibiliser les Syriens à certaines causes. Une forme de résistance pacifique dans un pays ravagé par la guerre.