Le Sacré-Coeur devrait bientôt être classé au titre des monuments historiques. Deuxième monument le plus visité de Paris, d’aucuns s’étonnent que cette mesure de protection n’ait pas été prise plus tôt. La raison ? Le monument fait l’objet d’une âpre querelle mémorielle. En effet, selon certains historiens, la construction et l’emplacement de ce monument auraient pour but d’effacer la mémoire des Communards, dont plus de 20 000 ont été tués durant la Semaine sanglante.
Une construction en réaction à la Commune ?
C’est le deuxième monument le plus visité de la Ville Lumière, après Notre-Dame. La basilique du Sacré-Coeur revient sur le devant de la scène, car elle devrait faire son entrée dans la liste des monuments historiques. Notre-Dame, elle, bénéficie de ce label et donc de la protection qui en découle depuis… 1862 ! Alors, pourquoi l’un des monuments les plus emblématiques de Paris, dont touristes et Parisiens raffolent pour le panorama qu’il offre, ne faisait pas partie de ce programme ? Cette basilique a été construite à partir de 1875 « en réparation, c’est-à-dire en pénitence pour les infidélités et les péchés commis, car pour (ses promoteurs) les malheurs de la France proviennent de causes spirituelles plutôt que politiques », peut-on lire sur son site Internet. De quels « péchés » parle-t-on ? Il faut se remettre dans le contexte : 5 ans plus tôt, la France est vaincue par la Prusse à Sedan, et l’empereur Napoléon III est fait prisonnier. Pendant ce temps, les troupes françaises qui protégeaient le Saint-Siège à Rome sont contraintes d’évacuer, et la papauté est annexée par la toute jeune Italie unifiée. Face à ces « malheurs qui désolent la France » ainsi qu’aux « attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Église et du Saint-Siège », l’homme d’affaires catholique Alexandre Legentil souhaite « faire amende honorable de nos péchés » et « obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes ainsi que les secours extraordinaires ». Il promet de « contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus ».
Mais, lorsque l’armée est envoyée chercher à Montmartre les canons stockés par les Parisiens, le 18 mars 1871, ceux-ci se soulèvent et mettent en place un régime ouvrier, la Commune de Paris, où de fortes mesures sociales et laïques seront mises en place, pendant que le gouvernement se réfugie à Versailles. Toutefois, ce régime ne durera que 2 mois puisque, du 21 au 28 mai, dates que l’on connait aujourd’hui sous le nom de Semaine sanglante, entre 20 000 et 30 000 Communards sont tués par la répression sanglante. 147 d’entre eux seront tués jusqu’à l’intérieur du cimetière de Montmartre, puis jetés dans une fosse commune, face à un mur qu’on appelle aujourd’hui mur des Fédérés en leur hommage.
La basilique a-t-elle donc été construite en réaction à cette insurrection ? Certes, l’idée initiale a été proposée avant. Toutefois, le peintre Hubert Rohault de Fleury, lors de la pose de la première pierre en 1875, s’exprimait dans son discours : « C’est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément-Thomas et Lecomte, que (s’élève) l’église du Sacré-Cœur ! Nous nous rappelons cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer. » Aujourd’hui, le père Jacques Benoît, curé de Belleville, renchérit : « Nous n’oublions pas que les Communards ont exécuté des centaines de malheureux otages lors des semaines sanglantes de mai 1871. » « Si la Ville de Paris a émis un avis favorable à l’inscription de l’édifice au titre des monuments historiques, c’est que nous voyons là l’occasion de réconcilier ces deux histoires. Est aussi classé le square Louise-Michel qui honore l’une des grandes héroïnes de la Commune », affirme de son côté Karen Taïeb, adjointe à la maire de Paris en charge du patrimoine.
« Réconcilier deux histoires »
« Ces querelles sont derrière nous mais ont retardé le processus de protection », affirme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Le ministère affirme que le monument n’a jamais été classé à cause d’« une mauvaise lecture de l’histoire ». « Un lien mémoriel existe entre la basilique et la Commune de Paris, on ne peut pas le nier. Mais le classement se base sur le geste architectural », précise Karen Taïeb. Faut-il toutefois voir dans ce geste une volonté de l’exécutif d' »amadouer » l’électorat catholique, à quelques semaines des élections régionales ? Pour l’historien Roger Martelli, coprésident de l’association des Amis de la Commune, il s’agit en tout cas d’un signe de rapprochement avec la droite religieuse : « Pour être totalement franc, l’inscription au titre des monuments historiques m’indiffère. J’y vois juste un clin d’œil appuyé qu’envoie le pouvoir à une certaine droite. Cette décision n’en constitue pas moins un mauvais signal à l’heure même où l’instance régionale en charge des transports, le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif), nous explique ne pas pouvoir adjoindre au nom de la station de métro Belleville, celui de ‘Commune de Paris’. C’est aussi une contradiction avec la résolution adoptée par l’Assemblée nationale fin 2016 et qui vise à réhabiliter les héros de cet épisode historique. » L’inscription du monument au titre des monuments historiques permettra en tout cas à l’archidiocèse de Paris, qui gère le site, de bénéficier des aides de l’État en cas de travaux de restauration.
Par Marine Guichard, le
Source: Le Parisien
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