
Au premier regard, il ne s’agit que d’une simple bande de papier. On la tord d’un demi-tour, on colle ses extrémités… et l’objet obtenu ouvre une porte vers un univers mathématique singulier : celui des surfaces impossibles, des frontières inexistantes et des paradoxes topologiques. Ce mystérieux objet, le ruban de Möbius, fascine les chercheurs et les curieux depuis des années.
La longueur idéale du ruban de Möbius
Le ruban de Möbius est une structure à la fois simple et complexe, qui a captivé l’imagination des passionnés et des experts en mathématiques depuis des générations. Mais une question restait irrésolue depuis des décennies : quelle est la longueur et la largeur maximales qu’un ruban de Möbius en papier peut atteindre avant de se tordre ou de s’effondrer sur lui-même ?
Cette question, qui semble simple à première vue, cache une grande subtilité. La contrainte principale réside dans le papier. En géométrie, cela signifie que le ruban doit être « développable », c’est-à-dire qu’il peut être fabriqué à partir d’une feuille plate sans étirement, déchirure ou compression. C’est ce qu’on appelle une « application isométrique », une transformation qui préserve les distances et les longueurs. Cela exclut les solutions « pliées » ou irréalistes, comme un accordéon miniature. Le ruban doit s’intégrer de façon harmonieuse dans l’espace tridimensionnel.
En 1977, deux mathématiciens, Charles Weaver et Benjamin Halpern, ont lancé cette énigme dans la communauté scientifique. Pendant près de 50 ans, personne n’a su y répondre. Mais récemment, Richard Schwartz, mathématicien à l’université Brown, a annoncé qu’il avait enfin percé le mystère.
Une surface unique en son genre
Le ruban de Möbius possède une propriété « non orientable ». En d’autres termes, si une fourmi rampait sur sa surface, elle pourrait parcourir tout le ruban sans jamais croiser un bord, revenant à son point de départ sans distinction claire entre l’intérieur et l’extérieur. Une ligne tracée à sa surface revient à son point de départ sans jamais traverser de rebord, prouvant que la surface n’a qu’un seul côté.
Cette découverte, réalisée en 1858 par les mathématiciens August Ferdinand Möbius et Johann Benedict Listing, a marqué un tournant dans l’histoire des mathématiques. Bien que Möbius ait donné son nom à cette forme, les deux chercheurs ont été fascinés par ses propriétés intrigantes, notamment sa surface infinie.
Mais le ruban de Möbius n’est pas qu’une curiosité mathématique. Il a des applications pratiques, notamment en ingénierie et en électronique. Par exemple, les bandes transporteuses conçues selon ce principe s’usent plus uniformément, doublant leur durée de vie. En électronique, des résistances Möbius sont utilisées pour leurs propriétés électromagnétiques uniques. Cette forme a également inspiré des artistes comme M. C. Escher, qui l’a représentée dans son œuvre Möbius Strip II, où des fourmis se croisent sur la surface à un seul côté.
Cependant, c’est dans le domaine des mathématiques que le ruban de Möbius a eu son impact le plus significatif, révolutionnant la topologie. Cette discipline étudie les propriétés des objets qui restent inchangées lorsqu’ils sont déformés sans être coupés ou collés. Par exemple, une tasse à café et un beignet sont topologiquement identiques, car ils possèdent chacun un seul trou.
La percée de Richard Schwartz
Richard Schwartz a découvert le problème du ruban de Möbius minimal il y a quatre ans, et il s’y est consacré avec passion. Ses efforts ont porté leurs fruits lorsqu’il a publié sa solution en août 2023 sur la plateforme de prépublications arXiv. Selon Schwartz, pour qu’un ruban de Möbius soit stable, son rapport longueur/largeur doit être supérieur à √3 (environ 1,73). Autrement dit, un ruban de 1 cm de large doit mesurer plus de 1,73 cm de long, sans quoi il s’effondrera sur lui-même.
Cette percée ne fut pas simple. Schwartz a dû développer de nouvelles façons de visualiser la géométrie complexe du ruban. Après des années de travail, il obtient finalement un résultat correspondant à la conjecture initiale. « J’étais stupéfait », a-t-il confié à Scientific American. « J’ai passé trois jours à écrire mon article, presque sans dormir. » Comme souvent en mathématiques, résoudre un problème en fait émerger d’autres, encore plus complexes. Théoriquement, il n’existe pas de limite à la longueur d’un ruban de Möbius. La prochaine question est donc de déterminer la taille minimale d’un ruban de papier capable de former un Möbius avec plusieurs torsions.
Un ruban classique possède une demi-torsion. Mais qu’en est-il d’un ruban avec trois demi-torsions ? Schwartz et sa collaboratrice Brienne Brown ont déjà avancé sur cette question, identifiant deux modèles optimaux, appelés « crisscross » et « cup », qui peuvent être fabriqués à partir d’une bande de papier mesurant 1 x 3. Ils émettent l’hypothèse qu’un ruban à trois torsions nécessite un rapport d’aspect supérieur à 3. Par ailleurs, des mathématiciens trouvent 12 000 nouvelles solutions à un casse-tête vieux de 300 ans.
Par Eric Rafidiarimanana, le
Source: ZME Science
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