Longtemps cantonné à une légende locale, le lac gelé Roopkund, dans l’Himalaya, en Inde, intrigue scientifiques et curieux depuis plus de 70 ans. En effet, ce petit lac a cela de particulier qu’il renferme les ossements de centaines de personnes.
Situé aux environs de 5 000 mètres d’altitude dans le district de Chamoli, de la province d’Uttarakhand en Inde, ce lac gelé onze mois sur douze se trouve sur le chemin de pèlerinage menant au sanctuaire hindouiste dédié à la déesse de la joie Nanda Devi, dont la plus haute montagne de la région porte son nom. Pour l’atteindre, il faut parcourir environ 35 km depuis les habitations les plus proches, sur des chemins dangereux et escarpés.
Mais le lac Roopkund n’est pas devenu célèbre pour la beauté glacée de ses paysages ou pour sa situation sur un chemin de pèlerinage, mais bien pour la macabre découverte que H. K. Madhwal, un gardien du parc national de Nanda Devi, y fit en 1942. Alors qu’il explorait la montagne, il découvrit des centaines d’ossements humains, certains avec de la chair et des vêtements, dans et autour du lac. En pleine Seconde Guerre mondiale, les autorités britanniques ont d’abord pensé à une troupe de soldats morts des suites des rudes conditions de vie dans la région. Une délégation d’enquêteurs se rend sur place et s’aperçoit bien vite que les vêtements et les ossements sont anciens.
LES CAMPAGNES SCIENTIFIQUES SE POURSUIVENT ET LE LAC GAGNE EN CÉLÉBRITÉ, DEVENANT UN LIEU TOURISTIQUE POUR RANDONNEURS
Dès la fin de la guerre, les scientifiques se penchent davantage sur le sujet, et un nombre croissant de théories voient le jour : un groupe de soldats mongols de retour du Tibet ayant disparu au XIXe siècle, le suicide collectif d’une secte locale, des restes de pèlerins décédés suite à un éboulement, etc.
Dans les années 1950, des recherches archéologiques et des analyses au carbone 14, qui n’en sont qu’à leurs débuts, indiquent que les ossements sont âgés d’environ 800 ans. La théorie des pèlerins surpris par le mauvais temps est émise avec plusieurs autres.
Le site est peu à peu saccagé et pillé, car sa protection dans cette zone reculée et rude n’est pas aisée. Il n’est pas rare que les randonneurs opèrent des fouilles et prélèvements sauvages, ce qui, ajouté aux éboulis, au gel, dégel et aux mouvements provoqués par le ruissellement issu de la fonte des glaces, chamboule les traces archéologiques et paléontologiques.
La dernière grande fouille date de 2004, mandatée par le National Geographic pour un documentaire à sensations. Cette enquête, appuyée sur de nouvelles analyses au carbone 14 ainsi que sur l’étude des ossements prélevés, affirme que ces derniers datent, non pas d’il y a 800 ans, mais de 1200 ans à 30 ans près, et que les défunts auraient succombé à une pluie de grêlons.
L’étude du National Geographic affirme, entre autres par des observations paléontologiques et des études ADN, que deux ethnies se sont distinguées dans ces ossements ; des locaux plus petits, trapus et dénutris, et des individus plus grands dont la génétique les rapproche de la caste des Brahmanes du Konkan, dans le Maharashtra (à plus de 1 000 km du lac).
LES OSSEMENTS APPARTIENDRAIENT À PLUSIEURS CENTAINES DE PERSONNES, DONT DES FEMMES ET DES ENFANTS
L’étude s’appuie également sur une légende locale selon laquelle le roi de Kanauj, nommé Jasdhawal, avait entrepris un pèlerinage pour honorer la déesse Nanda Devi, mais sans tenir compte de l’avis de ses conseillers religieux. Il emmena avec lui toute sa cour comprenant des danseuses, des musiciens, des fonctionnaires, ainsi que sa femme enceinte Rani Balampa.
En arrivant près du lac Roopkund, la reine accouche et la déesse se met alors en colère ; d’abord parce qu’on avait emmené des danseuses et des musiciens, mais surtout à cause de l’accouchement de la reine qui rendait ainsi cette terre sacrée impure pendant quelque temps. La déesse envoie alors une terrible tempête sur les pèlerins qui sont tous tués sur le coup. Cette légende s’accompagne d’une chanson traditionnelle évoquant les grêlons « durs comme du fer » qui tombèrent sur la tête des malheureux.
Le mystère semble donc résolu par la science, mais voilà, certains chercheurs, dont l’anthropologue indien R. S. Negi (page 7 en anglais), avancent que tous les squelettes ne dateraient pas de la même époque et remettent en cause l’étude financée par le National Geographic. Certains ossements présentent des états minéralogiques différents semblant indiquer que les personnes ne sont pas mortes au même moment.
Hélas, le vandalisme morbide de certains curieux, rapportant des « souvenirs » de leur voyage, rend plus difficile la lecture scientifique du lieu. Pour des raisons scientifiques, historiques et de respect envers les défunts, il est interdit de prélever des ossements sur ce lieu sacré de l’hindouisme.
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