Pénurie de masques, pénurie de blouses, pénurie de respirateurs… Les difficultés pour faire face à l’épidémie de coronavirus s’accumulent, et cela ne semble pas près de se calmer. Alors que les hôpitaux ne cessent d’accueillir de nouveaux malades, les professionnels de la santé signalent des pénuries pour certains médicaments dues à des difficultés d’approvisionnement. Et la France n’est pas le seul pays concerné…
Une pénurie de médicaments qui se propage
Neuf grands hôpitaux européens, dont l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), ont sonné l’alerte dans une lettre publiée par Le Monde mardi 31 mars. « Nous serons bientôt à court de médicaments essentiels pour traiter les patients atteints du Covid-19, hospitalisés en unités de réanimation », préviennent-ils, appelant à des mesures d’urgence pour prévenir des pénuries imminentes. Cela concerne des médicaments employés en réanimation pour les patients atteints par le coronavirus, comme les hypnotiques, les curares, les sédatifs ou les antibiotiques, mais pas seulement.
En effet, l’inquiétude concerne également l’accès aux traitements dans les pays en développement ainsi que les médicaments dits « essentiels », c’est-à-dire qui satisfont aux besoins de santé de la majorité de la population, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Lors de son audition devant les députés de la mission d’information sur le coronavirus, le Premier ministre Édouard Philippe a expliqué que « la demande mondiale a augmenté, en quelques semaines, de l’ordre de 2 000 % » pour certaines molécules. “Là où on avait l’habitude de disposer de stocks de moyen terme, voire de long terme, on se retrouve, c’est vrai, à gérer des stocks de très court terme.”
Les régions les moins touchées viennent en aide à celles qui sont en manque, mais les prêts entre les hôpitaux se font de plus en plus rares à mesure que les réserves diminuent, comme le rapporte France Info. Pour faire durer les stocks en attendant le réapprovisionnement, les interventions chirurgicales non urgentes ont été déprogrammées et les médecins se reportent sur des molécules plus anciennes, comme le Valium. L’autre solution temporaire envisagée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est de recourir à des produits vétérinaires, notamment des sédatifs qui peuvent être utilisés en réanimation. Emmanuel Macron a annoncé avoir passé des « commandes massives » de médicaments pour renflouer les stocks. Problème : la pénurie ne concerne pas que la France.
Un problème mondial qui rajoute des tensions
Ce problème est dû à une demande simultanée et massive de médicaments partout dans le monde. Une porte-parole de l’OMS explique dans un courriel au Monde que « nous constatons surtout des problèmes avec les anesthésiques, certains antibiotiques et des médicaments actuellement inclus dans les essais cliniques pour le Covid-19 » comme l’hydroxychloroquine ou le lopinavir/ritonavir, qui « ont fait l’objet d’achats panique ou d’achats spéculatifs ». Pour tenter de se protéger d’une pénurie, le Royaume-Uni a interdit, le 25 mars, l’exportation de plus de 80 médicaments.
Les autres pays font face au même problème. Dès le 24 janvier, l’agence américaine des produits alimentaires et des médicaments (FDA) avait identifié vingt médicaments qui étaient en risque de rupture aux États-Unis. Fin mars, une équipe de recherche de l’université du Minnesota publiait une liste de 156 médicaments qui pourraient causer une surmortalité s’ils venaient à manquer ne serait-ce que quelques heures ou quelques jours. Parmi eux se trouvent de nombreux antibiotiques ou l’albutérol, ainsi que la « ventoline » nécessaire aux asthmatiques. En Autriche, la liste des pénuries a enregistré 59 nouvelles références sur février et mars, nombre qui est normalement atteint sur une année entière. En Espagne, en Allemagne, en Croatie, le nombre de déclarations a également plus que doublé ces deux derniers mois.
Des principes actifs produits exclusivement en Chine et en Inde
Cette pénurie mondiale de médicaments est due au fait que l’industrie pharmaceutique a massivement délocalisé sa production en Asie. Dans un rapport publié en 2016, l’ANSM soulignait déjà la dépendance des fabricants européens vis-à-vis de leurs fournisseurs indiens et chinois. Aujourd’hui, entre 60 % et 80 % des principes actifs sont fabriqués en Inde et en Chine, selon Les Entreprises du médicament (LEEM). Cela est d’autant plus problématique que cette production est extrêmement concentrée, puisqu’il n’existe que deux ou trois fournisseurs dans le monde pour de nombreuses molécules.
Or, la Chine et maintenant l’Inde sont aux prises avec le coronavirus, ce qui entraîne confinement et ralentissement de la production. L’inquiétude est d’autant plus vive que le 4 mars, l’Inde a pour la première fois décidé de bloquer l’exportation de 26 principes actifs comme le paracétamol ou des antibiotiques.
Des chaînes d’approvisionnement obscures
L’autre problème est la transparence des fabricants de médicaments. Certains gouvernements demandent désormais aux industriels de détailler leurs chaînes d’approvisionnement. L’Espagne, durement touchée par le Covid-19, a pris des mesures contraignantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, et possède désormais un décret sur l’état d’urgence du 14 mars qui autorise le gouvernement à mener des actions spéciales, et notamment réquisitionner ses usines. Même chose en Allemagne. Un texte du 23 mars oblige les industriels à livrer aux autorités des informations détaillées sur les « médicaments essentiels à la gestion de la crise sanitaire liée au Covid-19 » et à les produire.
En France cependant, le Conseil d’État a rejeté le jeudi 2 avril la requête d’un groupe d’associations de santé et de juristes qui demandait au gouvernement de réquisitionner des moyens de production pour fournir du matériel et des médicaments. Aucune mesure contraignante ou coercitive ne semble donc être envisagée vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
Par Maurine Briantais, le
Source: Le Monde
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Par contre on ne manquerait pas d’armes pour une guerre.