Le nom de Nellie Bly vous dit peut-être quelque chose. En effet, considérée comme la première femme grand reporter, Nellie Bly, de son vrai nom Elizabeth Jane Cochrane, a révolutionné le journalisme d’investigation. Retour sur cette femme qui s’est fait enfermer pendant 10 jours dans un hôpital psychiatrique, avant de faire seule un tour du monde en 72 jours.
« Orphan Girl »
Elizabeth Jane Cochrane naît le 5 mai 1864 à Cochran’s Mills en Plennsylvanie. Elle grandit dans un village qui porte le nom de son père, ce dernier possédant une bonne partie des terres locales. La jeune Elizabeth est surnommée Pinky, car elle se vêt toujours de rose. Elizabeth vit une vie insouciante et heureuse. Mais, alors qu’elle n’est âgée que de sept ans, son père décède. A cette époque, les femmes ne peuvent toucher un héritage. De ce fait, la part de l’héritage, qui revenait à Elizabeth et ses frères, fut confiée à un tuteur, qui la dilapida. Puis la mère d’Elizabeth se remaria avec John Ford, un vétéran de la guerre de Sécession. Mais ce dernier était alcoolique et violent. Grâce à des témoignages des voisins confirmant les agressions sur la mère d’Elizabeth, elle put obtenir le divorce.
Alors âgée de 14 ans, Elizabeth découvrit la condition des femmes dans les années 1870 aux États-Unis. Sans le moindre argent, la jeune fille renonça à son rêve de devenir institutrice. Ses frères travaillaient pour subvenir aux besoins de la famille, mais interdisaient à Elizabeth de travailler. En effet, le seul emploi qu’elle aurait pu avoir était à l’usine, mais ses frères ne souhaitaient pas cette vie pour elle. Alors, ne pouvant travailler sans l’autorisation d’un mari ou d’un père, Elizabeth se retrouve à s’occuper du foyer. En parallèle, elle écrit des poèmes. Puis, Elizabeth Jane Cochrane part pour Pittsburgh.
En 1885, Elizabeth lit un article du Pittsburgh Dispatch, intitulé « What Girls Are Good For » (A quoi servent les filles). Excédée par cette idée que les femmes qui travaillent ne peuvent être des « monstruosités », Elizabeth envoie une vive réponse au journal. Réponse qu’elle signe « Orphan Girl » (Fille orpheline), en référence à son enfance difficile. Impressionné par la réponse de cette fille énigmatique, l’éditeur publia une annonce pour la rencontrer. C’est alors que la vie d’Elizabeth Jane Cochrane change du tout au tout. La jeune femme répond et rencontre l’éditeur du Pittsburgh Dispatch. Elle se fait embaucher après avoir écrit un article sur le divorce, et entame sa carrière de reporter sous le nom de plume Nellie Bly, en référence à la chanson de Stephen Foster du même nom.
Les premiers pas de Nellie Bly
C’est donc sous le pseudonyme de Nellie Bly qu’Elizabeth écrit. Le premier lieu qu’elle explore en tant que journaliste est une usine de boîtes de conserve. Nellie Bly intègre la ligne des ouvrières et décrit les conditions de travail déplorables de ces femmes. Mais cela ne plaît pas du tout. On fait taire Nellie Bly, on lui demande gentiment de quitter le Pittsburgh Dispatch. Alors elle part, avec sa mère au Mexique. Mais, encore une fois, Nellie Bly ne peut se taire. Elle commence à dénoncer la corruption des dirigeants du pays, leur mainmise sur la presse, etc. Encore une fois, on lui intime de partir. Elle retourne aux USA. Cette fois-ci direction New York où elle arrive à avoir un entretien avec Joseph Pulitzer. Elle pourra avoir un poste, mais à une condition : il faut qu’elle infiltre un asile pour femmes pour un article. Ce qu’elle fit.
Nellie Bly : folle de vérité
Ainsi, en septembre 1887, Nellie Bly fit ses valises, entra dans une pension pour femmes en déclarant que les arbres sont ses meilleurs amis. Elle errait et hurlait dans les couloirs, jusqu’à ce que les propriétaires appellent la police pour la faire interner. Sous le nom de Nellie Brown, elle devient une des pensionnaires de l’asile de Blackwell’s Island (aujourd’hui, Roosevelt Island). Elle y restera 10 jours.
Dans un premier temps, et comme cela était prévu, le reportage de Nellie Bly sur l’hôpital psychiatrique fut publié dans le New York World. Mais au vu du succès, il fut publié en livre. Un livre de 17 chapitres dans lequel Nellie Bly décrit son séjour à l’asile psychiatrique de Blackwell’s Island. Alors qu’elle arriva sur l’île, elle découvrit que les pensionnaires de l’hôpital n’étaient pas toutes folles. En effet, les femmes qui y vivaient étaient des immigrées françaises, allemandes, mexicaines, etc. Des femmes internées injustement et presque sans diagnostic, qui avaient perdu leur travail, leur mari, etc. En somme, des femmes démunies ou sans famille, sans homme pour s’occuper d’elles.
Dans le même établissement, ces femmes côtoyaient des pensionnaires plus dangereuses, qui se promenaient dans les couloirs et les jardins, toutes attachées les unes aux autres, comme des animaux. De plus, les conditions de vie des pensionnaires sont plus que déplorables. En effet, les pensionnaires ne peuvent prendre qu’un bain par semaine, et avec de l’eau froide. Elles ne sont presque pas nourries, et le personnel de l’asile n’est pas formé, voire brutal. Au total, l’asile de Blackwell’s Island est fait pour accueillir mille patientes. Pourtant, il y en plus de 1 600, pour seulement seize médecins.
Lorsque le reportage de Nellie Bly fut publié dans le New York World en 1887, le public fut scandalisé. Le grand jury de New York ouvrit une enquête, les financements pour les établissements publics du même genre que celui de Blackwell’s Island augmentèrent et les conditions des patientes en psychiatrie s’améliorèrent.
Tour du monde en 72 jours
Peu de temps après ce succès, celle que l’on considère comme étant la première femme grand reporter décida de partir faire un tour du monde en 72 jours. En 1889, Nellie Bly proposa au New York World de battre le record fictif du Tour du monde en 80 jours, roman de Jules Verne. Seulement, Pulitzer répondit qu’un homme devrait faire ce tour du monde. Ce sur quoi Nellie Bly répondit : « Très bien, que l’homme débute [sa course]. Je commencerai le même jour pour un autre journal et je le battrai. » Alors Pulitzer revint sur ses paroles.
Ainsi, Nellie Bly partit faire son tour du monde qu’elle entama le 14 novembre 1889, au départ d’Hoboken dans le New Jersey. Alors qu’elle débarqua en France, Nellie Bly fit la rencontre de Jules Verne. L’auteur, âgé de soixante-et-un ans, lui dit que si elle arrivait à faire son tour du monde en 79 jours, il l’applaudirait. Ce qu’il fit. Puisque, non seulement Nellie Bly réussit à faire son tour du monde en moins de 79 jours, mais elle ne mit que 72 jours et 6 heures. Dès lors, Nellie Bly devint la première femme journaliste influente des États-Unis, et ce, à seulement 25 ans.
Nellie Bly : changement de cap
Jusqu’en 1904, Nellie Bly continua d’écrire quelques articles. Mais à la suite du décès de son époux, un millionnaire fabricant d’ustensiles de cuisine, elle reprit en main l’entreprise. Pendant près de 10 ans, elle ne se consacrera plus qu’à la survie de l’entreprise de son mari et déposera même quelques brevets. Dont celui d’une poubelle empilable, ou même celui d’un bidon d’essence. Par ailleurs, elle augmente les salaires et donne un cadre de travail plus favorable aux ouvriers.
Cependant, en 1914, Nellie Bly se voit dans l’obligation de vendre ses usines, son comptable l’ayant arnaquée. Elle part alors pour l’Autriche et devient la seule femme journaliste correspondante du front de l’Est. De retour à New York en 1918, Nellie Bly continue d’écrire des articles sur le monde ouvrier, et milite activement pour les droits des femmes.
Elle décéda en 1922, à l’âge de 57 ans, emportée par une pneumonie. Juste avant sa mort, elle dit : « Je n’ai jamais écrit un seul mot qui ne vienne pas de mon cœur. Je ne le ferai jamais. »