Véritable monument de la bande dessinée, et ce à l’échelle mondiale, le roman graphique Maus est une oeuvre hors norme qui revient sur la Shoah. Dans Maus, les juifs sont représentés par des souris, et les nazis par des chats, et cette métaphore est utilisée tout au long de l’œuvre. Son auteur, Art Spiegelman, y met en image les souvenirs de son père, survivant de l’Holocauste, et ses propres difficultés à surmonter ces lourds souvenirs.
Maus est un roman graphique d’Art Spiegelman publié entre 1980 et 1991. Dans cette bande dessinée, Spiegelman revient sur les souvenirs de son père, survivant de l’Holocauste, et la difficulté que lui-même a eue à vivre avec ces souvenirs qui deviennent les siens par procuration. Au lieu de représenter les personnages sous des traits humains, Spiegelman utilise le zoomorphisme pour en faire des métaphores animalières : les juifs sont représentés comme des souris et les nazis comme des chats.
La couverture du premier volume de Maus :
L’histoire se déroule à deux époques différentes : celle de l’écriture véritable de l’œuvre, au moment où le personnage d’Art se remémore ses discussions avec son père, et celle où son père, Vladek, se trouvait en Pologne, de l’avant-guerre à la chute définitive du régime nazi. On y suit donc Vladek et son épouse Anja dans la Pologne déjà rongée par l’antisémitisme avant même l’invasion par les nazis. Au moment de celle-ci, Vladek et Anja sont déplacés de ghetto en ghetto et envoient leur fils Richieu chez une tante chez qui il doit être en sécurité.
Cependant, juste vers la fin de la guerre, de plus en plus de juifs sont déportés vers les camps, et pour éviter ce sort à sa progéniture et Richieu, la tante qui le gardait décide d’empoisonner tous les enfants sous sa garde avant de se suicider pour échapper à la gestapo. Vladek et Anja eux-mêmes sont déportés, chacun dans un camp différent, et Vladek se retrouve à Auschwitz. Là, Vladek ne doit sa survie qu’à sa résilience, et il survit jusqu’à la libération des prisonniers des camps, retrouve Anja qui a elle aussi survécu, et émigre avec elle en Suède puis aux Etats-Unis.
La couverture du second volume :
C’est là que nait Art en 1948 et que, finalement, Anja se suicide en 1968. Art vivra par la suite dans la douleur des souvenirs de son père, mais également dans la gêne de montrer comment son père a survécu à la Shoah. Enfin surtout, Art sera rongé par l’idée d’avoir vécu là où son frère Richieu est mort dans l’Holocauste. Autant de choses que Spiegelman révèle sans phare dans son œuvre. Pas vraiment regardé d’un bon œil au début de sa publication, Maus doit réussir à prouver sa crédibilité à une époque où les comics sont considérés comme quelque chose de particulièrement trivial et léger.
Finalement c’est par l’usage de la métaphore que Spiegelman donne à voir l’absurdité du racisme et de l’antisémitisme : s’il représente les juifs comme des souris pour reprendre la propagande nazie qui représentait les juifs comme de la vermine, Spiegelman pousse la métaphore en représentant les nazis comme des chats (qui chassent les souris), les Américains comme des chiens (qui chassent les chats), les Polonais comme des cochons, les Français comme des grenouilles, les Anglais comme des poissons et les Suédois comme des élans.
La première planche de Maus (en anglais) :
Cependant la métaphore montre ses limites directement dans l’histoire de l’œuvre, lorsque le personnage de Françoise, une Française ayant émigré aux Etats-Unis et s’étant convertie au judaïsme pour épouser Art, se retrouve partagée entre grenouille, chien et souris. Le style graphique de Maus en tout cas, presque uniquement en noir et blanc et sans nuances de gris, est là pour rappeler qu’au-delà de la relative distance que parvient à introduire le zoomorphisme des personnages, la réalité a été atroce, et la souffrance des survivants et de leurs enfants réelle.
Malheureusement, Vladek est mort en 1982, avant que la publication de l’œuvre dans son intégralité ne soit terminée, et il faut attendre 1986 pour que le travail d’Art Spiegelman, qui était déjà reconnu dans le milieu des amateurs de comics, n’atteigne le grand public. Traduit en de nombreuses langues, Maus a reçu une multitude de prix, dont notamment un prix Pulitzer. C’est après la réception de cette très haute distinction que Maus a enfin été reconnu aux Etats-Unis comme une œuvre majeure qui a elle aussi une place toute légitime dans le devoir de mémoire de l’Holocauste.
Maus a été traduit dans de nombreuses langues, dont le français :
Œuvre difficile et nécessaire, Maus est un roman graphique à lire et qui donne un témoignage bouleversant de l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle. Parmi les œuvres faisant la lumière sur l’expérience des victimes de la Seconde Guerre mondiale, on peut également classer cette œuvre aux côtés d’autres monuments graphiques comme Gen d’Hiroshima. Seriez-vous prêt à lire Maus ou connaissiez-vous déjà cette œuvre ?
Par Romain Berthommier, le