Près d’un an avant que Gottlieb Daimler ne commence à travailler sur sa moto pourvue d’un moteur à explosion et que Carl Benz ne soit vu au volant de son trois-roues utilisant un moteur à combustion, le Comte de Dion paradait dans les rues de Paris aux commandes de la Marquise, son quadricycle à vapeur et l’une des premières automobiles au monde. Voici son incroyable histoire.
L’UN DES PREMIERS VÉHICULES À VAPEUR DE L’HISTOIRE
Bien avant que le moteur à combustion ne soit testé avec succès, l’électricité et la vapeur semblaient constituer les meilleures alternatives pour motoriser un véhicule. Preuve en était le Fardier de Nicolas-Joseph Cugnot, premier véhicule automobile de l’histoire mis en service en 1770 et fonctionnant à la vapeur. Au cours du siècle suivant, de nombreux véhicules utilisant ce mode de propulsion ont été développés, mais La Marquise de De Dion mise en service en 1884 a été l’un des premiers à présenter des caractéristiques modernes : elle était dotée de quatre roues, accueillait quatre personnes et pouvait être conduite par un seul homme.
Tout commence en décembre 1881, lorsque le comte Jules-Albert De Dion met la main sur la reproduction miniature d’une locomotive à vapeur fonctionnelle, mise au point par Charles Armand Trépardoux et Georges Bouton, qui travaillent à l’époque comme fabricants de jouets. Intrigué par leurs réalisations, le riche De Dion les incite à mettre au point un véhicule grandeur-nature dès 1882, et les rémunère à hauteur de 10 francs par jour, une fortune à l’époque. Le développement de leur chaudière pour véhicule léger prend de longs mois, et il faut attendre 1883 pour que le tricycle De Dion ne soit testé avec succès, suivi par un quadricycle en 1884. La fameuse De Dion Bouton La Marquise est née.
LA MARQUISE RÉVOLUTIONNE LA CONCEPTION AUTOMOBILE DÈS 1884
Si la première quatre-roues de l’histoire possédait une transmission par courroie et une direction arrière, La Marquise de 1884 contourne ces problèmes avec deux roues motrices à l’avant, pourvues d’un diamètre plus important que les roues arrières, et un moteur bicylindre à vapeur qui permet au véhicule d’avancer. La chaudière peut être alimentée par du charbon, du bois, voire du papier, mais le propriétaire du véhicule doit attendre près de 30 minutes après son allumage avant de pouvoir se déplacer. Durée nécessaire à la chaudière pour atteindre sa température de fonctionnement. Une fois celle-ci atteinte, la De Dion Bouton La Marquise, qui mesure 2,7 mètres de long et pèse près de 952 kilos, peut enfin brûler l’asphalte.
Dès 1887, le Comte De Dion l’inscrit à la Paris-Versailles, considérée par de nombreux experts comme le premier évènement sportif automobile de l’histoire, bien que George Bouton ait été le seul et unique pilote y ayant participé. La voiture boucle les 30 kilomètres du parcours à une vitesse moyenne de 30 km/h, un véritable exploit pour l’époque, réalisé entre le Pont de Neuilly et la Porte de Versailles. Sept ans plus tard, le Comte De Dion et sa monture entreront un peu plus dans l’histoire automobile en remportant le deuxième prix de la première compétition automobile, courue entre Paris et Rouen le 22 juillet 1894.
DE DION-BOUTON SE TOURNE VERS LES MOTEURS ESSENCE COURANT 1890 ET DÉLAISSE LES VÉHICULES À VAPEUR
Mais revenons en 1886. A cette époque, la compagnie De Dion-Bouton est en plein essor et produit près de 30 tricycles et des quadricycles à vapeur chaque année. Les roues métalliques sont désormais bandées de caoutchouc, et le châssis réalisé à partir de tubes en acier, une solution qui sera conservée par la compagnie durant de nombreuses années. Il s’agit d’une époque cruciale pour l’automobile, un véritable tournant qui voit l’émergence du moteur à combustion qui va reléguer la vapeur au second plan. De Dion-Bouton se tourne finalement vers les moteurs à essence au milieu des années 1890, ce qui va permettre à l’entreprise de devenir le principal fabriquant automobile en Europe au début du 20e siècle.
Bien que le moteur à vapeur ait toujours ses adeptes à l’aube de ce nouveau siècle, il est complètement supplanté par le moteur à combustion au fil des années, avant de disparaître complètement du paysage vers 1920. Si la fameuse Marquise fonctionne encore, elle est vendue à Henri Doriol en 1906, et dépouillée de ses parties composées en cuivre et en laiton pour participer à l’effort de guerre durant la Première Guerre mondiale. Elle restera la propriété de la famille Doriol durant huit décennies, et il faudra finalement attendre la fin des années 1980 pour que le prototype fonctionne à nouveau.
LA MARQUISE EST FINALEMENT REMISE EN FONCTIONNEMENT EN 1987 PAR UN ANGLAIS PASSIONNÉ
C’est un certain Tim Moore qui va lui offrir une seconde vie. Pour remettre le véhicule en état, cet anglais passionné se base sur un modèle de la compagnie datant de 1890, conservé dans un musée automobile en France. Cela lui permet de fabriquer lui-même les pièces nécessaires à son fonctionnement, et de remplacer ses antiques roues en bois par des pneus en caoutchouc. D’autres pièces usées sont aussi remises à neuf, et le miracle se produit : la De Dion La Marquise fonctionne de nouveau, plus d’un siècle après ses premiers tours de roue.
La Marquise devient officiellement la doyenne des véhicules automobiles produits avant 1905 toujours en fonctionnement. Au volant de l’engin, Moore s’adjuge quatre courses de voitures anciennes de Londres à Brighton, et fait aussi parler de lui à Pebble Beach. Le prix de ce prototype mythique, acheté incomplet en 1987 pour la somme de 90.000 dollars, a depuis connu une incroyable hausse, et son cinquième propriétaire a dû débourser l’incroyable somme de 4.62 millions de dollars pour se l’offrir, lors d’une vente aux enchères à Hershey, en Pennsylvanie.
Si l’homme a longtemps cherché un moyen de transport qui lui permettrait de s’affranchir de la force animale pour se déplacer sans effort, en travaillant sur différents véhicules dès la fin du 18e siècle, c’est bien La Marquise de De Dion et Bouton qui a véritablement révolutionné le monde de l’automobile et contribué à l’essor de son industrie dès le début des années 1890.
Très bel article. La longueur de ce véhicule (de 2,70m) est-elle à considérer avec ou sans le marche-pied arrière déplié ?
J’envisage en effet d’en réaliser un modèle réduit. Merci !