Masques en polypropylène, flasques de gel hydroalcoolique, commandes par Internet, livraisons, aliments emballés dans plusieurs couches… Avec la crise sanitaire qui frappe le monde, le plastique connait un regain de popularité auprès d’une population angoissée. Une conséquence du coronavirus qui fait bien l’affaire des industries plastiques, qui pourraient bien sortir grands gagnants de l’histoire.
Les lobbies plastiques à la reconquête de l’Europe
Dans son enquête intitulée « Les entreprises de l’emballage plastique mobilisées et solidaires face à la crise du Covid-19 », l’association professionnelle des fabricants d’emballages plastiques Elipso a révélé que plus de la moitié des fournisseurs d’emballages pour l’alimentaire dont les produits sont destinés à la grande distribution font face à une hausse de leur activité. Et ce n’est pas le seul secteur, puisque le secteur médical a lui aussi grand besoin de protections pour ses soignants, sans parler de ceux qui équipent leurs équipes de visières et autres écrans plastiques. Le succès du plastique à usage unique est fulgurant en temps de crise et donne des ailes aux industries.
Le lobby des transformateurs européens de plastique, EuPC, qui représente les intérêts de la plasturgie auprès des instances européennes et compte pour membres des organisations nationales et des organisations sectorielles européennes, a ainsi adressé le 8 avril un courrier à la Commission européenne où il lui demande « de reporter d’au moins un an la mise en œuvre au niveau national de la directive SUP [sur les plastiques à usage unique] et de lever toutes les interdictions » déjà en vigueur concernant ce type de produits.
C’est que les industries plastiques sont vivement critiquées à Bruxelles, à la fois pour les déchets qu’engendrent leurs produits, mais aussi pour la toxicité de leurs substances, qui peuvent migrer dans les aliments et contaminer l’organisme. En juin 2019, l’Union européenne avait ainsi interdit d’ici à juillet 2021 certains des produits à usage unique que l’on retrouve fréquemment sur les plages comme les pailles, les assiettes jetables, les touillettes à café et les Cotons-Tiges. Cette mesure est effective en France depuis le 1er janvier pour les Cotons-Tiges, les gobelets et les assiettes. Mais les choses pourraient changer.
L’Italie, fortement touchée par le Covid-19, est le premier pays européen à mettre les pieds dans le plat. Comme le rapporte Le Monde, lors d’une allocution télévisée le 24 mars, le président du Conseil Giuseppe Conte a encouragé les Italiens à faire leurs courses sans crainte puisque les aliments sont protégés par des barquettes « en polystyrène » et des « films plastiques ». Les défenseurs du plastique lui ont ensuite écrit afin de réclamer l’abrogation de la taxe sur le plastique, qui s’élève à 45 centimes d’euro par kilo et qui doit entrer en vigueur en juillet.
Aux États-Unis, les sacs en plastique comme gage ultime d’hygiène
Aux États-Unis, les industriels du secteur tentent de conquérir les cœurs des populations avec un nouvel argument : « les sacs plastiques sauvent des vies ». Selon eux, les sacs en plastique seraient un gage d’hygiène, puisque les bactéries sont immédiatement jetées en même temps que le sac.
Cet argument a fait son chemin dans les esprits, à tel point que les États de New York et du Maine ont décidé de suspendre l’application de leur récente mesure pour l’abrogation des sacs plastiques. Actuellement, huit États ont interdit les sacs plastiques de leurs commerces, tandis que 42 les autorisent encore.
Le nouvel ennemi est désormais le sac en tissu réutilisable. Le Monde rapporte ainsi que le 21 mars, le gouverneur du New Hampshire, Chris Sununu, les a bannis provisoirement car ils constitueraient « un risque potentiel [de contamination] pour les emballeurs, les commerçants et les clients ». À San Francisco, il est désormais interdit « d’apporter en magasin [ses] propres sacs, tasses ou autres contenants réutilisables ». Plusieurs enseignes de Starbucks refusent également les tasses apportées par ses clients afin de ne pas contaminer ses salariés.
La Plastics Industry Association, premier lobby du secteur, affirme carrément fabriquer des produits qui « peuvent littéralement faire la différence entre la vie et la mort ». Le 18 mars, son président Tony Radoszewski appelle même le ministre à « faire une déclaration publique sur les avantages en matière de santé et de sécurité des plastiques à usage unique », à « s’élever contre leur interdiction » et à calmer « l’empressement des écologistes et des élus à interdire ces produits ».
Le plastique sauve des vies, vraiment ?
Les ONG n’ont pas tardé à réagir, et Greenpeace a qualifié “la propagation de la désinformation par ces groupes financés par la pétrochimie” d’« opportuniste », d’« irresponsable » et de « dangereuse ». « Pendant des années, l’industrie du plastique a financé et encouragé la recherche pour tenter de discréditer le mouvement croissant visant à mettre fin à la pollution par les plastiques à usage unique. Et, lorsque le Covid-19 a commencé à se répandre, ils ont vu une chance de frapper et d’activer leur réseau de soutien proplastique », dénonce l’ONG. “La sécurité des personnes doit passer avant les bénéfices”, conclut-elle.
Dans un rapport publié le 26 mars, elle explique comment des articles d’opinion, financés par l’industrie des énergies fossiles et relayés par leurs lobbys traditionnels, ont émergé un peu partout pour vanter les bienfaits du plastique tout en mettant en avant la dangerosité des sacs en tissu, qualifiés de véritables nids à bactéries. Ils s’appuient pour cela sur plusieurs études, qu’ils auraient financées pour la plupart. Le principal argument est que les sacs en tissu pourraient infecter les employés qui les rempliraient en caisse. Or, le client peut remplir son sac lui-même sans que le caissier n’ait à le toucher, et les sacs en tissu sont lavables. L’une des études citées par les lobbys conclut d’ailleurs qu’un lavage à la main ou en machine suffit à éliminer 99,9 % des bactéries, comme le rapporte Le Monde.
C’est en revanche une tout autre histoire pour le plastique. Trois grosses études (que vous pouvez consulter ici, ici et ici) sont en effet toutes arrivées à la conclusion que le plastique est, avec l’acier, la surface sur laquelle le coronavirus survit le plus longtemps. Il pourrait y rester infectieux jusqu’à trois, voire neuf jours. Il y a donc un véritable retournement des résultats des études qui s’est opéré. Le plastique sortira-t-il plus fort de la pandémie ? Cette dernière mettra-t-elle à mal les efforts de réduction des plastiques à usage unique ? Difficile de prévoir comment va évoluer la situation, qui est très inquiétante.
Par Maurine Briantais, le
Source: Le Monde
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