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Comment le séisme de 1755 à Lisbonne a-t-il précipité le Portugal dans l’ère des Lumières ?

Il reste à ce jour la pire catastrophe naturelle que le pays ait connue

— Morphart Creation/ Shutterstock.com

Certains traumatismes sont si vifs qu’ils nous incitent à remettre en question notre monde entier, toutes nos croyances et toutes nos façons de penser. Ce fut sans aucun doute le cas des Lisboètes le 1er novembre 1755, alors que la pire catastrophe naturelle de l’histoire du Portugal venait de se produire. Le grand tremblement de terre de Lisbonne, qui se fit sentir jusqu’en Finlande, laissa d’importantes séquelles chez les habitants de Lisbonne : ces derniers furent si traumatisés qu’ils commencèrent à douter de leur foi et se tournèrent vers la science. Ce séisme aurait donc eu une importance non négligeable sur le développement des idées des Lumières.

LISBONNE, L’ÉPICENTRE RAYONNANT D’UN EMPIRE RICHE ET DÉVELOPPÉ…

Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. Au milieu du XVIIIe siècle, Lisbonne était le cœur palpitant d’un empire mondial, connu pour sa grandeur et ses nombreux explorateurs, tels que Magellan ou Vasco de Gama. La capitale rayonnait de ses nombreuses richesses, autant architecturales qu’artistiques. Le palais royal de Ribeira, la cathédrale de Lisbonne ou le couvent de Notre-Dame du Mont-Carmel étaient entre autres des symboles de cette splendeur. Le couvent incarnait en tout point l’architecture religieuse du haut gothique, signe d’une très grande richesse à l’époque, d’autant plus qu’on y trouvait une grande quantité d’or, de livres d’art et de tableaux de maîtres tels que Caravage ou Rubens.

Mais cette richesse était également commerciale, et facilitée par la localisation du port de Lisbonne à l’embouchure du Tage, qui en faisait un point particulièrement stratégique. Tous les jours, des navires apportaient de grandes richesses, notamment des épices, de l’or mais également et malheureusement des esclaves. Près de 250 000 personnes vivaient au sein de cette capitale éblouissante.

Toutefois, cet empire s’affaiblissait petit à petit, miné par de violentes luttes pour le pouvoir et la perte progressive de son influence à la faveur d’autres pays d’Europe. C’est alors que le royaume portugais faisait face à cette situation précaire que le séisme frappa Lisbonne et tua 100 000 personnes. Ce grand tremblement de terre reste encore à ce jour la pire catastrophe naturelle que le Portugal ait jamais connue, et le pire tremblement de terre de l’histoire. Joseph Ier était à l’époque le roi du Portugal mais n’exerçait qu’un pouvoir restreint comparé à son Premier ministre Sebastião José de Carvalho e Melo, autrement appelé le marquis de Pombal. Ces deux hommes étaient alors fascinés par l’esprit et les idées des Lumières, mais la vieille noblesse portugaise s’opposait fermement à la perte de ses privilèges traditionnels.

ÉBRANLÉE ET TRANSFORMÉE PAR L’UNE DES PIRES CATASTROPHES NATURELLES

Le grand tremblement de terre de Lisbonne eut lieu le 1er novembre 1755, soit le matin de la Toussaint, une fête très importante pour les chrétiens. Ce jour-là, un séisme s’est déclenché dans l’océan Atlantique et a frappé Lisbonne avec une magnitude entre 8,5 et 9 sur l’échelle de Richter. Les Lisboètes ont senti la terre trembler pendant six minutes, durant les lesquelles des fissures allant jusqu’à près de 5 m se sont creusées dans la terre. De nombreux bâtiments se sont effondrés, et des personnes furent écrasées, comme ces 25 000 fidèles rassemblés dans une église qui s’est abattue sur eux. Mais ce n’était pas fini : près d’une heure plus tard, des vagues de dizaines de mètres de haut ont ravagé la ville et se sont engouffrées à l’intérieur des terres. En raison de la fête religieuse, les habitants avaient allumé de nombreuses bougies qui, du fait du tremblement de terre, se sont renversées et ont déclenché un incendie, aggravant encore la liste des morts et des dégâts au sein de Lisbonne. Les flammes ont atteint jusqu’à 30 mètres de haut, ce qui était pour l’époque une véritable représentation de l’enfer sur Terre. Des fumées toxiques se sont aussi échappées des fissures créées plus tôt.

Au cours de cette première journée, entre 10 000 et 100 000 personnes seraient décédées : en effet, les services médicaux étaient à l’époque peu évolués et personne n’avait encore fait face à ce genre de situation. Personne n’avait donc le recul nécessaire pour gérer cette catastrophe naturelle inédite, d’autant plus que ce séisme ne s’est pas limité à la capitale. Le sud du Portugal a également été touché et l’onde de choc s’est même étendue jusqu’au Maroc. Joseph Ier et le marquis de Pombal ont échappé à la catastrophe, mais sont vite revenus à Lisbonne où ils ont pris les choses en main pour gérer cette crise. C’est la raison pour laquelle des troupes furent déployées pour maintenir l’ordre et que des groupes de pompiers volontaires furent créés. Le marquis de Pombal prit également une décision difficile pour l’époque, voire sacrilège : celle d’enterrer les corps en mer, dans l’objectif de limiter de possibles épidémies de maladies comme la peste. En plus des dommages humains, le séisme créa de forts dommages économiques. Selon certaines estimations, la catastrophe naturelle aurait coûté près de 178 % de son PIB au royaume du Portugal.

Cette catastrophe naturelle changea la ville en profondeur : la vieille ville fut en effet détruite et on construisit à la place des bâtiments plus solides, capables de résister aux secousses. Ce quartier existe encore aujourd’hui, il s’agit du quartier de Baixa, qui est considéré comme l’un des plus modernes de Lisbonne. Difficile d’imaginer qu’il y a près de deux siècles et demi, cet endroit où les touristes se promènent le coeur léger voyait le pire traumatisme de l’histoire.

UNE CATASTROPHE NATURELLE À L’ORIGINE D’UNE REMISE EN QUESTION DU MONDE ET DE SES CROYANCES

Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 n’eut pas que des conséquences physiques ou économiques : il eut également des répercussions sur les systèmes de pensées et les croyances de la population, qui remit en question sa foi et sa façon de voir le monde. La plupart des Lisboètes, après avoir vécu ce traumatisme et malgré leur ferveur catholique, ne parvinrent pas à comprendre comment leur Dieu avait pu condamner des milliers d’innocents à la mort. Si Dieu était bon, pourquoi aurait-il infligé ce châtiment divin à des milliers d’innocents ? Beaucoup de personnes ont donc tourné le dos à l’Église, et ont choisi les sciences et la raison, ce qui favorisa le développement des idées des Lumières.

La catastrophe naturelle du 1er novembre 1755 aurait en outre permis le développement de la sismologie. En effet, des spécialistes géologues pensent que l’étude des tremblements de terre a commencé à la suite du tremblement de terre à Lisbonne, puisque le marquis de Pombal avait envoyé des questionnaires à travers tout le royaume dans le but d’évaluer les dégâts dans chaque région. Les données ont par la suite été recueillies et analysées en parallèle de nombreux témoignages, dont les scientifiques se sont servis pour étudier les tremblements de terre. L’espoir qu’ils nourrissaient était de comprendre comment arrivaient ces catastrophes, dans le but de les prévenir et de faire en sorte qu’aucune ville ne subisse les mêmes horreurs que Lisbonne. Cette initiative de Pombal était donc particulièrement représentative de l’esprit des Lumières, car elle privilégia la science et la raison comme moyens de faire face à l’inexplicable et à la terreur.

Si vous avez lu Candide, de Voltaire, vous étiez sûrement déjà familier du grand tremblement de terre de Lisbonne. En effet, le philosophe y consacre un chapitre entier au sein de son ouvrage. En voici un passage : « À peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaiteur qu’ils sentent la terre trembler sous leurs pas, la mer s’élève en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont à l’ancre. Des tourbillons de flammes et de cendres couvrent les rues et les places publiques ; les maisons s’écroulent, les toits sont renversés sur les fondements, et les fondements se dispersent ; 30 000 habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines (…) – voici le dernier jour du monde ! » Voltaire fut complètement bouleversé par ce drame, d’autant plus qu’il ne parvenait pas à en trouver la raison. Il élabora alors cette idée presque paradoxale que le mal était impossible à théoriser du fait même de sa nature irrationnelle. Le tremblement de terre initia donc une véritable réflexion philosophique.

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  • Sujet intéressant, même si je connaissais. Mais fou rire à la lecture des gens enterrés en mer. Les trous ont dû être difficiles à creuser……..

  • 25000 fidèles dans une église????? Notre Dame de Paris, du temps de sa splendeur pouvait contenir, je crois, environ 9000 personnes en tout dont 1500 dans le choeur