À Beyrouth, les manifestations continuent, et prennent même un tournant de plus en plus dur. Après l’explosion qui a ravagé la ville la semaine passée, les habitants estiment qu’il s’agissait de la catastrophe de trop. Épuisés par une crise économique trop importante, qu’ils imputent à l’incurie et à la corruption d’une classe politique qui peine à se renouveler, les Libanais réclament, plus que jamais, un changement radical de système politique. Leurs revendications ont en partie été entendues, puisque le Premier ministre a annoncé la démission de son gouvernement.
La « catastrophe de trop »
Les manifestations au Liban ne tarissent pas. Plus d’une semaine après l’explosion dévastatrice qui a endeuillé la capitale, les habitants réclament, plus que jamais, le départ d’une classe politique jugée corrompue. Ils ont en partie obtenu gain de cause, puisque le Premier ministre Hassan Diab a annoncé la démission de son gouvernement. Cette annonce fait suite à des démissions en masse qui ont eu lieu précédemment, puisque 4 ministres avaient démissionné en 2 jours. Parmi eux, la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, avait été la première à sauter le pas. Devant la presse, elle s’était excusée auprès des Libanais, ajoutant : « Nous n’avons pas pu répondre à leurs attentes. »
Pour beaucoup de Libanais, l’explosion du port de Beyrouth est la catastrophe de trop. Cette explosion, causée par le stockage depuis 2013 de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, sans précaution particulière, a causé, selon le dernier bilan de lundi, au moins 160 morts, 6 000 blessés, des dizaines de disparus et des centaines de milliers de sans-abri. Elle s’ajoute à une grave crise économique qui secoue le Liban depuis plusieurs années, causant des manifestations sans précédent en 2019, ainsi qu’au sentiment qu’ont les habitants d’un pouvoir politique figé, qui ne s’occupe pas de ses citoyens. Ainsi, depuis l’explosion, les citoyens déplorent l’absence des pouvoirs publics pour les aider, et d’être contraints de déblayer et de porter secours à la population eux-mêmes.
Un air de révolution qui s’abat sur un pays en souffrance
Depuis ce week-end, une fois le choc immédiat de l’explosion passé, le désarroi s’est mué en colère. Des manifestations monstres ont émaillé la capitale dévastée, réclamant un changement de régime et le départ de toute la classe politique. Parmi les revendications, la fin du confessionnalisme. Ce système, mis en place à la fin de la guerre civile, qui a vu s’affronter entre 1975 et 1989 des réfugiés palestiniens et des milices chrétiennes, vise officiellement à une meilleure représentativité des différentes confessions du pays. Ainsi, le président est toujours un chrétien maronite, le Premier ministre un musulman sunnite et le président de la Chambre des députés un musulman chiite. Or, ce système est accusé d’immobilisme et d’empêcher le renouvellement de la classe politique. Ainsi, par exemple, 4 des partis les plus importants représentés à l’Assemblée législative sont dirigés par le fils ou le petit-fils d’un membre fondateur. De même, 22 % des membres de l’Assemblée législative ont un lien de parenté avec une personnalité politique.
Ce système est donc l’un des responsables de la situation économique catastrophique que connait le Liban depuis plusieurs années. Ainsi, plus de la moitié (60 %) de la population vit sous le seuil de pauvreté, tandis que 35 % de la population active est au chômage. La dépréciation inédite de la monnaie, l’hyperinflation, les restrictions bancaires et les licenciements massifs ont conduit la population à manifester massivement contre le pouvoir en place.
Ces manifestations, aujourd’hui, sont émaillées de violence : du côté des forces de l’ordre, tout d’abord, ce qu’a dénoncé un collectif d’avocats, puis du côté des manifestants. Ainsi, samedi, un policier a été tué alors que les manifestants, emmenés par des officiers à la retraite, prenaient d’assaut le ministère des Affaires étrangères, le proclamant « quartier général de la révolution ». Une centaine de manifestants ont été blessés, selon la Croix-Rouge sur place. « Préparez les potences, parce que notre colère ne s’éteindra pas en un jour », peut-on lire sur des messages en ligne appelant à manifester. Les manifestants sont déterminés à ne pas lâcher prise, jusqu’à ce que la classe politique actuelle quitte le pouvoir. « Nous voulons que tous les députés, les ministres et le président démissionnent », peut-on entendre dans les manifestations. « L’explosion du port est un massacre, dont les responsables doivent répondre. Tous les politiciens, quelle que soit leur affiliation, gardent le silence, et cela ne m’étonne pas : ils ont peur pour leur fauteuil. On ne veut plus de leurs magouilles pour le pouvoir. On veut construire un nouvel État. » La démission du gouvernement est un pas, mais ce n’est pas assez pour une population à bout de souffle, qui réclame un réel changement.
Par Marine Guichard, le
Source: Le Monde
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