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Portrait de Jacklean Davis, la première femme détective noire à résoudre des affaires d’homicides

Fougueuse, talentueuse, audacieuse… son histoire est digne d’un thriller !

Le 6 février 1957, Jacklean Davis nait à Cleveland. A seulement 3 ans, son père, Frederick Davis, qui est chauffeur-livreur, décède dans un accident de voiture. Sa mère, Lafrench, gère mal un procès contre l’employeur de son père ainsi que l’héritage qu’il a laissé pour son frère et elle. Le grand-père de Davis entre alors en scène pour menacer Lafrench de prendre la garde des enfants si elle ne mettait pas de l’ordre dans sa vie.

Une enfance sous tension

Peu de temps après, la mère de Davis l’emmène avec son petit frère en Louisiane, pour les déposer chez leur grand-tante – la sœur du grand-père – Mabel Walker, que Davis appelait « Madea » et son mari, Willie, qui exerçait dans la marine marchande. C’est dans cette ville que Davis passera une majeure partie de sa vie et c’est également là qu’elle va se forger une forte personnalité.

La Louisiane est un quartier noir historique aux racines profondes. Cependant, Central City était sillonné en deux parties : les Noirs vivaient sur des blocs « au bord des lacs » au nord, vers le lac Pontchartrain, tandis que les Blancs habitaient sur l’avenue St Charles, en altitude et plus près du Mississippi. Un seul événement annuel parvenait à réunir tout le monde : la saison du carnaval pendant laquelle les gens pouvaient tous s’entremêler durant le Mardi gras.

Mais la vie de Davis dans la maison de sa grand-tante était aussi secouée de traumatismes avec, tout d’abord, la découverte du fait que sa grand-tante était une proxénète et que leur maison accueillait des hommes à la recherche de femmes. Sa grand-tante travaillait également dans un bar voisin appelé Shadowland autour duquel régnait la violence. Davis se souvient que « des gens se faisaient tirer dessus, certains se faisaient poignarder et d’autres se faisaient voler ». Mais dans tout ce chahut, un événement va bouleverser la vie de Davis. Elle a vu un homme brutalement agresser une femme près du bar, il la frappait et la mordait. Mais celle-ci a riposté et elle l’a battu. Des policiers sont ensuite venus de nulle part pour l’arrêter mais il s’avère que la femme en question était une détective noire, du nom de Gail Miller, et qui était surnommée « Christy Love » dans les rues de Central City. C’est là qu’est née la vocation de Davis, qui déclare dans des propos rapportés par The Guardian et The Appeal :

Je suis juste devenue, pas obsédée, mais chaque fois que je voyais cette femme, j’étais juste en admiration. Cette policière m’a inspirée parce que je n’étais pas une faible. J’étais solitaire parce que je bégayais… Et les gens se moquaient de moi, donc je ne parlais jamais. Et cette femme, je veux dire, elle vient de me faire quelque chose. Je n’avais jamais eu de femme noire à admirer. On m’a toujours dit, malheureusement, que je n’allais rien être.

Malgré de nombreux traumatismes, David est toujours allée de l’avant

Un gros mensonge car, même si Davis a été abusée sexuellement une nuit chez sa grand-tante par un homme de passage chez Madea et qu’ensuite, son grand-oncle avait aussi abusé d’elle jusqu’à ce qu’il tombe malade d’un ictère et d’un cancer et qu’il décéda après, Davis trouva refuge dans ses études. Elle excella effectivement en classe au collège Carter G. Woodson et au lycée McDonogh 35 mais, lors de sa deuxième année de lycée, elle tomba enceinte. Cependant, elle fut autorisée à reprendre ses études après l’accouchement de sa fille, Christina. Malheureusement, Davis dut abandonner ses études après un an et demi à l’université de la Nouvelle-Orléans car personne ne s’occupait de sa fille et, quand elle l’emmenait avec elle en cours, elle était gênée car « pendant que le professeur nous enseignait, Christina lui parlait » et « chaque fois que le professeur parlait et écrivait quelque chose au tableau, elle hurlait : ‘Non !’ ».

Davis a alors collectionné les petits boulots jusqu’à ce qu’elle décide de poursuivre son rêve d’antan : travailler dans la police, et elle réussit l’examen pour devenir officier après cinq tentatives.

― Biskariot / Shutterstock.com

Des collègues racistes et envieux

Là, la carrière de Davis commença et elle monta les échelons rapidement. Alors qu’elle était d’abord chargée de débusquer les trafiquants de drogue, elle a ensuite été envoyée pour patrouiller dans le quartier français, puis a été promue et a procédé à plus de 500 arrestations en seulement un an et demi. Elle commença ainsi à faire parler d’elle, au grand mécontentement de ses collègues détectives qui lui en faisaient voir de toutes les couleurs. D’après l’un de ses formateurs blancs, Morales, ses collègues en arrivaient même à placer des excréments de chien dans ses tiroirs de bureau et dans sa boîte aux lettres.

Elle a subi beaucoup de sévices lorsqu’elle est venue à l’homicide parce qu’elle était une femme noire. Ils l’ont constamment poursuivie. Et parce que des détectives se rendaient parfois dans la salle des dossiers pour déchirer ses dossiers, c’est arrivé au point où je gardais ses dossiers dans le coffre de la voiture.

Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est quand Christina, la fille de Davis, a appelé au bureau et qu’un officier blanc l’a qualifiée de « petite chienne ». Christina en a parlé, en larmes, à sa mère et Davis avait confronté l’officier au point où tous deux étaient quasiment prêts à se tirer dessus, la main sur leur arme, avant que des détectives n’interviennent.

Pièges

C’est au début des années 1990 que la carrière de Davis était à son apogée. Au milieu de la trentaine, Davis faisait déjà partie de la crème des détectives en charge d’affaires d’homicides car, sur 100 cas, elle avait résolu 98 affaires. D’ailleurs, Morales confie au Philadephia Inquirer qu’« elle était la meilleure que j’aie jamais vue pour résoudre un cas de meurtre. Il n’y avait personne à son niveau dans l’histoire de la division des homicides. »

Mais, alors que Davis avait été promue aux affaires internes (SAI), elle commença à travailler sur des affaires complexes de corruption policière. Elle enquêtait particulièrement sur un homme, Len Davis, un officier du cinquième district surnommé « Robocop » pour sa brutalité et le fait qu’il protégeait les principaux trafiquants de drogue de la Nouvelle-Orléans. Elle avait ouvert deux dossiers sur lui et une enquête avait fait tomber l’officier pour consommation de drogue et relations présumées avec des trafiquants de drogue.

Malheureusement, en 1994, Davis commet sans le savoir un parjure durant une audience, elle contredit son propre témoignage et, alors que son supérieur la convainc du contraire en disant que « c’est juste une différence de déclaration », le surintendant de la police, Joseph Orticke, inscrit Davis pour parjure le 30 août 1994, ce qui entraîne sa suspension du 31 août au 11 octobre 1994.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, Len Davis, l’officier radié, avait été mis sur écoute par des agents fédéraux alors qu’il avait chargé un homme, Paul « Cool » Hardy, de la tuer. Il avait auparavant chargé deux hommes d’assassiner Kim Groves, un homme de 32 ans, le 13 octobre, soit un jour seulement après la fin de la suspension de la détective. Cette dernière en est certaine, Len Davis a mis un contrat sur sa tête. Fort heureusement, Len Davis et son homme de main, ainsi que huit autres policiers, ont été rapidement inculpés et condamnés par un tribunal fédéral pour plusieurs chefs d’inculpation.

Un travail hors service qui vire au drame

Lorsque Davis reprit le travail fin 1994, elle n’était plus dans les affaires internes. Au début de l’été 2001, des promoteurs basés en Floride, et qui géraient un site Internet axé sur le sport appelé BigPros, avaient approché son nouveau supérieur, le lieutenant Samuel Lee, pour embaucher des officiers pour un « détail payé » lors d’un « Festival Essence ». Un détail payé est un travail en dehors du service, qui peut être très rémunérateur pour les policiers et le Festival Essence est un événement annuel qui existe depuis 1995 et est devenu une institution culturelle noire. A l’époque, Davis effectuait déjà des détails au Superdome et dans un Walmart à la Nouvelle-Orléans dans lequel Lee travaillait également. Davis a alors accepté le détail et même si au départ le travail devait durer trois jours, les promoteurs ont insisté pour qu’elle reste quatre jours.

Cependant, au moment du paiement, le 7 juillet 2001, les promoteurs ont refusé de payer l’argent qu’ils lui devaient au motif que Lee et elle n’avaient pas fourni le nombre convenu de policiers, soit 23. Mais Davis insiste sur le fait que 23 officiers ont travaillé sur le détail. Un des promoteurs, Tim Crockett, a alors pris l’argent dans un hôtel et l’a donné à Davis, qui attendait en bas. Tim remet l’argent à Davis, avec un reçu, elle remet l’argent à Sam qui lui donne un peu plus de 400 dollars.

Coup de tambour, quelques semaines plus tard, les promoteurs de BigPros portent plainte contre Lee auprès des affaires internes pour extorsion et complot, et Lee pour complicité. Selon Crockett et les autres promoteurs, Lee leur aurait dit de payer près de 10.000 dollars pour le détail tout en ayant employé moins de 23 officiers. Chose étrange, l’avocat de Lee et Davis aurait dit qu’il avait perdu le reçu de l’argent.

Condamnée à 30 mois de prison

Davis et Lee ont été traînés devant un tribunal fédéral en février 2002 en dépit du fait que, selon leur avocat, Davis « n’a pas été nommée dans la plainte d’origine et on ne sait pas comment elle est devenue la cible de l’enquête qui a suivi ». Davis et Lee ont été poursuivis par le procureur adjoint américain Perricone. Des témoins à charge contre Davis et Lee sont soudainement apparus et un jury les a reconnus coupables. Davis a été condamnée à 30 mois de prison fédérale et au paiement de 2.000 dollars de dédommagement.

Cependant, un procureur va remettre en cause le jugement en déclarant qu’il avait émis un mandat d’arrêt contre Crockett pour l’extorsion d’un chèque de 12.500 dollars à la boîte de nuit Tipitina. Crockett aurait gentiment restitué le chèque mais aucune accusation criminelle n’a été déposée contre Crockett. Mais pour les avocats de Lee et Davis, cela leur permet de déposer de nouvelles requêtes pour faire acquitter leurs clients.

Malheureusement, le juge de la cour d’appel a fait valoir que :

Même en supposant que les circonstances factuelles entourant le mandat et les plaintes civiles auraient pu être utilisées pour attaquer le témoignage des partenaires de BigPros, il y avait suffisamment de preuves corroborantes pour étayer le verdict du jury. Les appelants n’ont pas démontré une probabilité raisonnable que le résultat du procès aurait été différent si les preuves du mandat d’arrêt de Crockett avaient été divulguées. 

Davis finira néanmoins par refaire sa vie et être reconnaissante pour tout son périple

Finalement, Davis ne sera libérée de prison que le 30 décembre 2004. Elle sera d’abord mise dans une maison de transition avant de rejoindre sa maison de longue date à la Nouvelle-Orléans. Elle prendra par la suite un emploi au sein du cabinet d’avocats de son avocat.

Aujourd’hui encore, Davis pleure les dérives de sa profession et met en garde contre l’utilisation excessive de la force dans les activités policières. Elle dit pleurer le meurtre de George Floyd à Minneapolis et être à 100 % derrière les manifestations.

Face aux ravages du coronavirus et au regard de sa vie en général, Davis confie :

En tant que détective d’homicide, les civils pensent que nous n’avons aucun sentiment. Mais pendant cette pandémie, les gens avec qui j’ai interagi, les gens que je connaissais, dont je me souciais, sont devenus des victimes. La dernière matriarche de ma famille, la petite sœur de ma mère est décédée et j’ai perdu 10 amis. Le coronavirus m’a ainsi mise dans un tourbillon de sentiments. Je suis celle qui a survécu à la mort pendant tant d’années, celle qui a vu le pire de la société mais le coronavirus a fait des ravages. A tous ceux que j’ai aimés et que je continue à aimer, je dis ceci : Je vous rencontrerai dans l’au-delà. Je n’ai pas de regret. Dieu pourrait me prendre demain, j’ai vécu ma vie.

Par Arielle Lovasoa, le

Source: The guardian

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