Aujourd’hui, la trépanation représente une forme de chirurgie crânienne bien barbare. Mais pendant des millénaires, cette technique consistant à percer des trous dans le crâne du patient a permis de sauver la vie de nombreuses personnes, comme en témoigne le taux de survie incroyablement élevé des patients incas.

UNE ÉTUDE ÉTONNANTE

En étudiant des centaines de crânes datant de l’ère précolombienne, une équipe de chercheurs américains est parvenue à l’étonnante conclusion que les médecins incas maîtrisaient l’art délicat de la trépanation comme personne au 15e siècle. Le taux de survie des patients qu’ils opéraient frôlait les 80 %, contre seulement 50 % durant la guerre de Sécession, s’étant déroulée plus de quatre siècles plus tard.

Selon David Kushner, neurologue à l’université de Miami, la trépanation était à l’origine utilisée pour soigner les graves blessures à la tête. En cas de choc violent, les fluides s’accumulent dans le cerveau, et ce type de chirurgie permettait notamment de soulager la pression à l’intérieur de la boite crânienne. Le scientifique estime que celle-ci était également employée pour traiter les maux de tête chroniques et maladies mentales.

Au 15e siècle, les médecins incas maîtrisaient à la perfection « l’art » de la trépanation et le taux de survie de leurs patients était sidérant © Wikimédia / CC BY-SA 3.0 fr

Au fil des décennies, des crânes trépanés ont été découverts partout dans le monde, mais c’est au Pérou que se trouvaient les mieux conservés d’entre eux, qui se comptaient par centaines.

Pour cette nouvelle étude, Kushner s’est associé à John Verano, bioarchéologue à l’université Tulane de la Nouvelle-Orléans, et Anne Titelbaum, bioarchéologue à l’université de l’Arizona, pour établir le taux de réussite moyen des différentes civilisations qui pratiquaient l’art délicat de la trépanation.

L’équipe a ainsi examiné 421 crânes découverts sur les hauts plateaux péruviens (datant de 1 400 à 1 000 avant Jésus-Christ), 59 provenant de la côte sud du Pérou (datant de 400 à 200 avant Jésus-Christ) et 160 provenant de la région de Cuzco, capitale de l’Empire inca (datant du 14 au 15e siècle).

Lorsque la partie du crâne à la périphérie du trou pratiqué ne montrait aucun signe de guérison, les chercheurs estimaient que le patient était mort durant l’opération ou très peu de temps après. Lorsque celle-ci présentait un aspect lisse, ils savaient que la personne avait vécu des mois, voire des années, après l’intervention.

LORSQUE LE CONTOUR DU TROU PRÉSENTAIT UN ASPECT LISSE, C’ÉTAIT LA PREUVE QUE LA PERSONNE AVAIT SURVÉCU À LA TRÉPANATION

Comme l’explique Kushner : « Les résultats obtenus étaient étonnants. Environ 40 % des patients du premier groupe avaient survécu à l’opération, contre 53 % du second, et 75 % à 83 % du troisième qui vécurent sous la domination inca. »

Les scientifiques ont également constaté que les techniques employées pour réaliser ces délicates opérations semblaient s’être perfectionnées avec le temps, ce qui se traduisait par des trous d’un diamètre moindre, nécessitant moins de perçage et permettant de réduire le risque de perforation de la membrane protectrice du cerveau appelée « dure-mère » et d’infection.

Pour Corey Ragsdale, bioarchéologue à l’université du Sud de l’Illinois : « Pendant 1 000 ans, les méthodes employées pour réaliser les trépanations n’ont cessé de s’améliorer. Ce n’était pas une histoire de chance. L’habileté des hommes qui la pratiquaient était sans pareille : sous l’ère inca, plusieurs patients ont d’ailleurs survécu à plusieurs trépanations successives. »

Plus étonnant encore, Kushner et Verano ont comparé ces chiffres à ceux de la guerre de Sécession, et sont parvenus à la conclusion que les médecins incas maîtrisaient mieux la trépanation que leurs homologues américains 400 ans plus tard. Bien que les techniques employées soient extrêmement similaires, 46 à 56 % des patients opérés durant la guerre civile ne survivaient pas, contre seulement 17 à 25 % sous l’ère inca.

46 À 56 % DES PATIENTS TRÉPANÉS DURANT LA GUERRE CIVILE NE SURVIVAIENT PAS, CONTRE 17 À 25 % SOUS L’ÈRE INCA

Il convient toutefois de nuancer ces résultats comme l’explique Emanuela Binello, neurochirurgienne à l’université de Boston : « Les traumatismes et blessures auxquels étaient exposés les soldats durant la guerre de Sécession étaient bien différents de ceux qui touchaient les Incas. »

Le taux de survie des patients trépanés était beaucoup plus faible durant la guerre de Sécession en raison de la nature des blessures et de conditions d’hygiène déplorables

Au 19e siècle, la plupart des soldats souffraient de blessures par balle et étaient opérés directement sur le champ de bataille dans des conditions d’hygiène déplorables, ce qui favorisait les infections et augmentait drastiquement le risque de décès. Pourtant, Binello qualifie d’étonnant le taux de survie des trépanés péruviens : « C’est une preuve supplémentaire de l’incroyable savoir-faire de ces civilisations anciennes. »

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