Alors que l’épidémie de coronavirus continue de se propager à travers le monde, la plus grande ville de l’Équateur, Guayaquil, est dépassée par la situation. Si les hôpitaux sont pleins, des cadavres sont également abandonnés sur les trottoirs, parfois même pendant des jours, et on aperçoit des cercueils sur certains d’entre eux. Face à cette situation, les pompes funèbres et les services d’urgence sont débordés et confrontés à une crise sanitaire sans précédent.
Une ville qui abrite près de 70 % des cas du pays
En Équateur, la province du Guayas comptabilise plus de décès du coronavirus que tous les pays d’Amérique latine : 60 morts et 1 937 cas au 1er avril. Au sein de cette région, la ville de Guayaquil abrite près de 70 % des cas recensés dans le pays, sans compter les personnes qui décèdent sans avoir été testées. Il s’agit donc d’une des villes du monde les plus touchées. Par ailleurs, l’Équateur est le troisième pays d’Amérique latine en nombre de cas recensés, derrière le Brésil et le Chili. Néanmoins, le taux de mortalité par habitant y est bien plus élevé.
Les pompes funèbres et les services d’urgence débordés
La crise sanitaire est d’une telle ampleur que les pompes funèbres de la ville sont complètement débordées et dépassées par la situation. Lenin Moreno, président, a d’ailleurs été obligé de créer une force spéciale pour recueillir et enterrer les corps.
Les services d’urgence sont également débordés. « Mon oncle Segundo est mort le 28 mars, et personne n’est venu nous aider. Les hôpitaux n’avaient pas de lits disponibles, et il est mort chez lui. Nous avons appelé les services d’urgence, et ils nous ont dit d’être patients. Son corps est toujours sur le lit où il est mort, nous ne l’avons même pas touché« , rapporte notamment Jésica Castañeda, habitante de Guayaquil.
Néanmoins, les patients touchés par l’épidémie de coronavirus ne sont pas les seuls à être confrontés à l’absence de réponse de la part des services d’urgence. « Mon voisin est tombé et s’est cogné la tête, et j’ai appelé le 911 (numéro d’urgence). Mais ils ne sont jamais venus« , explique Wendy Noboa, résidant dans le nord de la ville. N’ayant pu obtenir de l’aide, son voisin, Gorky Pazmiño, âgé de 96 ans, est finalement décédé le 29 mars dernier. « Son corps était étendu sur le sol pendant toute la journée jusqu’à ce que sa famille vienne le prendre. Mais il n’ont pas pu l’enterrer, car il n’y avait pas de médecin disponible pour signer son certificat de décès. »
Des personnes qui s’effondrent dans les rues
Depuis quelques jours, des vidéos pour signaler des personnes qui s’effondrent et meurent dans les rues circulent également. Certaines d’entre elles montrent un homme qui s’effondre devant un hôpital ou encore des pneus brûlés afin de protester contre les corps qui ne sont pas récupérés dans une maison.
« Mon partenaire est allé faire des courses et a trouvé un mort étendu à une intersection. On nous a dit qu’il y avait un autre corps quelques mètres plus loin, sur la route. Ici, nous sommes habitués à ce que les gens dorment dans la rue. Maintenant, nous voyons des sans-abri mourir dans le centre-ville« , explique Jésica Zambrano, journaliste au quotidien El Telégrafo de Guayaquil.
Les personnes décédant à leur domicile sont plus nombreuses. Leurs familles exercent d’ailleurs une pression importante sur le gouvernement. Néanmoins, les hôpitaux ne sont plus en capacité d’accueillir de nouveaux patients. « Les gens de Guayaquil sont désespérés, certains doivent attendre jusqu’à 72 heures pour que les autorités récupèrent les corps« , rapporte à son tour Blanca Moncada, journaliste chez Expreso. La dernière semaine du mois de mars, plus de 300 personnes sont décédées à leur domicile et leurs corps ont dû être récupérés par la police. Selon l’agence de presse EFE, encore 115 individus sont sur liste d’attente.
Par ailleurs, un couvre-feu national imposé à partir de 15 heures chaque jour pose également des problèmes en ce qui concerne la récupération des cercueils. Toutes les formalités administratives ne peuvent donc parfois pas être achevées. Face à cela, Darwin Jarrín, officier de l’armée et devenu depuis peu coordinateur militaire et policier du gouvernement pour la province du Guayas, a rapporté que « les forces armées vont s’occuper des inhumations« .
Cette situation a également provoqué des conflits politiques au sein du gouvernement. Cynthia Viteri, maire de Guayaquil, a par exemple protesté contre le gouvernement qui a été incapable, selon elle, de mettre en place un système de santé publique. « Ils laissent les morts sur les trottoirs, les gens s’effondrent devant les hôpitaux. Personne ne veut emporter les corps. Qu’adviendra-t-il de nos malades ? Les familles doivent errer dans la ville en frappant aux portes des hôpitaux publics, qui ne peuvent plus les accueillir car il n’y a plus de lits vides.«
La question des fosses communes
« Nous ne pouvons pas nier ce qui se passe, c’est grave. Mais nous devons souligner que nous avons été parmi les premiers sur le continent à introduire des mesures strictes« , a rapporté Juan Carlos Zevallos, ministre équatorien de la Santé, à la BBC.
Pour répondre à l’ampleur de la crise, à Guayas, le gouvernement municipal a donc proposé d’enterrer les personnes décédées dans des fosses communes. Une solution qui n’a finalement pas été appliquée. « C’est une idée terrible. C’est une ville où les familles mettaient les funérailles en attente jusqu’à ce qu’un parent puisse revenir d’Europe, où un grand nombre d’Équatoriens ont migré au cours des deux dernières décennies. Ici, les gens avaient l’habitude de déguiser les corps pour la cérémonie et jusqu’à récemment, l’Église catholique n’approuvait pas l’incinération des corps. Ce serait un coup dur pour les familles les plus religieuses, principalement les catholiques, qui seraient dévastées si on les empêchait d’accomplir leurs rituels funéraires« , déclare Héctor Chiriboga, sociologue.
« Cela fait 80 heures que ma mère est décédée. Personne ne vient la chercher. Aidez-nous » : en Equateur, le difficile ramassage des cadavres dans les rues de Guayaquil https://t.co/DfP6RrWdx5
— Le Monde (@lemondefr) April 5, 2020
« La panique est générale »
« La panique est générale, et ils semblent penser que tous ceux qui meurent à Guayaquil meurent de Covid-19« , a déclaré Grace Navarrete, docteur de la Société de santé publique de l’Équateur. Certaines pompes funèbres ont peur et refusent d’ailleurs des services par crainte d’infections post-mortem au virus.
Les proches des victimes sont également dans la peur, a ajouté Grace Navarrete. « C’est la même chose dans les maisons. Quand quelqu’un meurt, les autres ne touchent pas son corps. Et il fait chaud à Guayaquil, donc les corps commencent rapidement à se décomposer.«
Selon Ernesto Torres, expert en santé publique, cette pandémie doit être combattue à l’échelle communautaire. « Si nous impliquons les gens dans les communautés, nous pourrions éviter un débordement des hôpitaux. » Ainsi, des brigades sanitaires seront sûrement créées et composées de volontaires locaux.
« Dans certaines communautés plus petites et plus éloignées de la région, une véritable et profonde crise humanitaire est en train de se préparer. Rester chez soi est une mesure nécessaire pour arrêter la maladie, mais nous n’avons jamais pensé à un plan d’urgence pour assurer au moins la sécurité alimentaire de base des quartiers les plus vulnérables de la périphérie de la ville« , a rapporté Paúl Murillo, membre du Comité permanent des droits de l’homme (CHH) de l’Équateur.
« Je regarde le reste de l’Amérique latine et tout ce que je vois, ce sont des pays qui suivent le même chemin que nous avons emprunté ici il y a trois semaines. L’Argentine, par exemple, où les choses vont s’aggraver. En attendant, nous essayons de sortir de cette situation accablante et d’agir aussi vite que possible« , a également constaté Jorge Wated, chef du groupe de travail du gouvernement.
Par Cécile Breton, le
Source: BBC
Étiquettes: rues, cadavres, coronavirus, guayaquil, equateur
Catégories: Santé, Actualités
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