L’affirmation qui déclare que « la beauté est subjective » n’a jamais semblé plus vraie que lorsque nous comparons les critères de différents pays. En effet, alors que les diktats occidentaux promeuvent un culte de la minceur sans cesse renouvelé (et encore plus à l’approche de l’été) et statuent qu’une femme belle est le plus souvent une femme mince, c’est tout à fait le contraire dans certains pays d’Afrique. Nous pensons notamment au nord du Mali ou à la Mauritanie, là où plus la femme sera obèse, plus elle sera perçue comme un modèle de beauté. C’est la raison pour laquelle dès l’enfance, les jeunes filles sont gavées, nourries de force afin de répondre à ce critère, une condition sine qua non pour trouver un mari.
LE GAVAGE, UNE PRATIQUE ANCESTRALE QUI PERSISTE EN MAURITANIE
Dans le nord du Mali mais également en Mauritanie, l’obésité est le critère de beauté le plus important. Pour être belle, il faut être obèse. Pour trouver un mari, il faut être obèse. Pour réussir socialement, il faut être obèse. C’est la raison pour laquelle la pratique ancestrale du gavage persiste. Ce que l’on appelle le leblouh touche 40 % des femmes et commence dès l’enfance, parfois même dès l’âge de 3 ans. On soumet dès lors les petites filles et les jeunes filles à un régime hypercalorique : bouillies, couscous, graisses, lait de chamelle, oeufs, dattes, huiles, cacahuètes… Les jeunes filles prennent jusqu’à dix repas par jour, et absorbent jusqu’à 16 000 calories par jour. Un tel régime calorique serait quatre fois supérieur à celui d’un bodybuilder. Rappelons qu’en moyenne, une jeune femme a besoin d’un apport calorique quotidien situé entre 1 900 et 2 400 calories.
Pour beaucoup d’hommes, en Mauritanie il serait humiliant d’avoir une femme mince. La minceur est en effet l’apanage des hommes. Les filles minces subissent une forte pression sociale ; en effet, si elles ne grossissent pas, alors elles seront objets de honte pour leurs parents. Tous les moyens sont bons pour faire grossir les jeunes filles : on fait venir des « gaveuses », ou bien on les emmène dans des camps spécialisés. Si elles vomissent ou refusent qu’on leur impose ce régime, alors elles sont punies physiquement, voire torturées. Elles n’ont donc pas d’autre choix que d’accepter leur sort. « Le but est de les nourrir jusqu’à ce que leurs corps gonflent comme des ballons », raconte Aminetou Mint Elhacen, une « gaveuse ». Elle accueille chaque année une dizaine de filles, que leurs parents envoient dans un seul objectif : il faut qu’elles soient belles. Trois mois plus tard, ils retrouvent leurs filles transformées, enfin aptes à devenir des épouses modèles et des femmes désirables.
UNE PRATIQUE DANGEREUSE
Malgré l’interdiction officielle de cette pratique en 2000 et les nombreuses campagnes de sensibilisation, cette tradition ancestrale perdurent dans les milieux ruraux. Certains l’imputent au coup d’État de 2008, qui a par la suite promu un retour aux traditions et le retour en force de cette pratique. Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association mauritanienne des femmes chefs de famille (AFCF), estime que malheureusement, ce rite est loin d’avoir disparu. Elle donne des explications à franceinfo Afrique : « Le gavage continue d’exister, parce qu’il s’agit d’un critère de beauté pour les filles. Et beaucoup d’hommes y tiennent énormément. C’est aussi un signe de richesse. Parce qu’une famille qui ne gave pas ses filles est une famille marginalisée. »
Mais, en plus de « porter atteinte à l’intégrité physique des jeunes filles », pour reprendre les mots d’Aminetou Mint Moctar, cette pratique est très dangereuse, et entraine dans son sillage de nombreux décès, puisque « le corps de la femme et ses organes ne peuvent pas supporter ce traitement inhumain. Elles (les femmes) souffrent d’hypertension artérielle, succombent aux maladies cardiovasculaires. D’autres souffrent de malformations osseuses. Certaines voient soudainement leurs visages envahis par la barbe et la moustache… » Par ailleurs, les familles ne disposant parfois de pas assez de lait compensent en achetant des médicaments dangereux, mais dont l’objectif est la prise de poids. Aminetou Mint Moctar cite entre autres les « hormones de croissance pour animaux, mais aussi des corticoïdes utilisés pour certaines maladies comme l’asthme et les rhumatismes. Ces produits font gonfler la peau et donnent l’illusion d’une prise de poids. » De nombreuses jeunes femmes meurent malheureusement de ces surdoses de médicaments par ailleurs souvent destinés aux animaux comme les bovins.
Souleimane Cherif, président de l’association des pharmaciens de Mauritanie, estime que l’un des problèmes est la facilité avec laquelle ces jeunes filles ont accès aux médicaments. N’importe qui peut acheter ces produits. Il déclare que “la réglementation n’est pas strictement appliquée principalement en raison des bénéfices engrangés dans certains secteurs médicaux”.
LE MARIAGE DE VERIDA
Le Mariage de Verida est un film réalisé par Michela Occhipinti et sorti en septembre 2019. Il raconte le parcours de Verida, une jeune femme mauritanienne esthéticienne dont le mariage approche, et à laquelle on impose un régime hypercalorique. Elle doit très exactement prendre 20 kilos en moins de trois mois. Au départ, la jeune fille accepte son sort, mais plus les jours passent moins elle supporte sa situation, qui la soumet à un gavage incessant pour un homme qu’elle ne connaît pas. La réalisatrice italienne explique l’origine de son film : « J’ai lu un article sur le gavage en Mauritanie, à propos de ces femmes qui devaient devenir très grosses pour plaire à leur futur mari. J’ai immédiatement compris que j’avais trouvé ce que je cherchais, une histoire qui racontait le même phénomène qu’en Europe de l’Ouest, mais avec des exigences contraires. À travers une femme qui doit grossir pour satisfaire un standard de beauté jusqu’à mettre sa santé en péril, Le mariage de Verida reflète la relation très complexe qu’ont toutes les femmes avec leur corps. » Une réflexion domine à travers le film de Michela Occhipinti: « Comment les modèles sociaux, qui sont souvent imposés par les désirs masculins, peuvent-ils à ce point influencer les conditions des femmes dans le monde ? » Ce film puissant est porté par le jeu de Verida Beitta Ahmed Deiche, qui relate sa propre histoire.
Joost de Raeymaeker, photographe belge, s’est rendu en Mauritanie. Il a pu observer cette pratique de près et en a tiré de superbes photos presque tragiques, que vous pouvez observer en vous rendant sur son site.
Nous ne saurions établir une préférence entre les critères mauritaniens et les critères occidentaux, puisque dans les deux cas, les femmes sont considérées sous le prisme de l’oeil masculin : il s’agit d’être désirable aux yeux des hommes, d’être la femme parfaite pour ces derniers. Minces ou obèses, les femmes doivent remplir des conditions pour vraiment séduire et « espérer » trouver un homme. Minces ou obèses, elles sont soumises à des critères établis par les hommes, pour les hommes. Par ailleurs, en plus de réduire la femme à une apparence, ces critères réduisent la femme à un seul rôle : celui d’être une bonne épouse et une bonne mère, comme si cela était pour elle le seul moyen de s’épanouir.
Par Jeanne Gosselin, le
Source: Courrier International
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