Des archéologues ont exhumé en Tunisie le deuxième plus grand complexe oléicole de l’Empire romain. Une découverte exceptionnelle qui change notre regard sur la place de l’Afrique romaine dans l’économie impériale.

Un complexe agricole gigantesque, avec vingt presses à huile, révèle l’ampleur de l’oléiculture romaine en Afrique du Nord
Quand on pense à l’huile d’olive à Rome, on imagine les collines italiennes, pas les terres semi-arides du centre tunisien. Et pourtant, c’est à Henchir el Begar, au pied du Jebel Semmama, que l’on vient de découvrir un complexe agricole monumental, déployé sur plusieurs hectares.
Deux zones distinctes ont été identifiées : Hr Begar 1 avec ses douze presses monumentales, et Hr Begar 2, qui en compte huit. Ces torcularia, activées par de grandes poutres en bois et des systèmes de contrepoids, pouvaient produire plusieurs centaines de litres d’huile par jour.
Ce n’est pas juste grand, c’est colossal : seul un autre site de l’Empire fait mieux en termes de capacité. On n’est pas dans une petite exploitation locale mais dans un modèle de proto-industrialisation agricole. Rome, à 1 000 km de là, se nourrissait (et s’illuminait !) grâce à ces terres.
Un domaine sénatorial doté d’un marché officiel, au cœur des circuits logistiques de l’Empire romain
Ce domaine agricole, identifié comme le Saltus Beguensis, n’était pas quelconque. Il appartenait à Lucillius Africanus, un vir clarissimus, autrement dit, un membre de l’élite sénatoriale. Et ce n’était pas qu’un producteur : le domaine disposait d’un marché bimestriel autorisé par décret impérial, preuve de son importance régionale.
Les infrastructures dévoilées parlent d’elles-mêmes : citernes, canalisations, bassin de rétention, tout un système de collecte et de distribution de l’eau, pourtant rare dans cette région. C’est de la logistique impériale, stratégique, planifiée. Et l’huile produite ici ne restait pas sur place : elle rejoignait Carthage, puis Rome.
C’est une pièce majeure du puzzle économique romain : des domaines frontaliers, tenus par des aristocrates, insérés dans un réseau d’approvisionnement tentaculaire. Rien à voir avec une Afrique marginale ou arriérée.
Une communauté rurale mixte, structurée et résiliente, au-delà des clichés sur les marges de l’Empire
Autour des torcularia, ce n’était pas le désert : c’était la vie. Les fouilles ont permis d’identifier un vicus rural : un village avec habitats, ateliers, meules, outils agricoles. Il y avait là une population mixte : des colons romains, sans doute des anciens soldats, et des Musulamii, peuple nomade local.
On y pratiquait l’agriculture mixte, entre oléiculture et culture céréalière. Les habitants vivaient avec les récoltes, les transformaient, les exportaient. C’était une société résiliente, adaptée aux conditions du climat et aux besoins de l’Empire.
L’image d’un Empire qui « domine les marges » mérite d’être nuancée : ici, les marges participent activement à l’Empire, elles ne le subissent pas.
Une mission archéologique internationale qui mise sur la science, le patrimoine et le développement durable
Derrière cette découverte, une coopération tripartite : l’Université Ca’ Foscari de Venise, l’Université de La Manouba (Tunisie) et l’Université Complutense de Madrid. Avec un objectif : fouiller, comprendre, mais aussi valoriser. Car ce site, c’est un levier potentiel pour le développement durable de la région.
Les objets retrouvés ? Un bracelet en cuivre et laiton, un projectile en calcaire blanc, des fragments réemployés dans des bâtiments byzantins… Chaque couche raconte une époque, chaque pierre réutilisée est un témoignage de continuité historique.
Pour le professeur Luigi Sperti, cette mission est bien plus qu’un chantier archéologique : c’est une relecture du rôle des marges dans la grandeur romaine. Et si c’était de ces terres que l’Empire tirait sa vraie force ?
Par Eric Rafidiarimanana, le