Une équipe de scientifiques est l’auteure d’une prouesse technologique sans précédent. Ils sont parvenus à livrer une dizaine d’échantillons de sang par les airs, à travers 257 km de désert américain. Un exploit rendu possible grâce aux drones, toujours plus performants.
La campagne en 4G ?
La vie à la campagne c’est bien, la vie en ville c’est mal m’voyez. Cette vision binaire compose un pan essentiel de l’imaginaire collectif américain. Une idée reçue « étayée » par une armée de films et téléfilms tous élaborés sur le même scénario : un/e père/mère célibataire, trop absorbé/e par son travail pour s’occuper de ses enfants, se retrouve contraint/e de s’exiler dans une charmante ville de campagne pour X motif ; et y rencontre l’âme soeur, celui/celle qui lui ouvrira les yeux sur le vrai sens de la famille. Sur la papier tout ça a l’air bien beau, mais la réalité est plus nuancée : moins de commerces, moins d’opportunités professionnelles, et des soins médicaux plus… rudimentaires. Mais pour ces derniers, tout va changer.
Récupérer ses résultats d’analyse ou se rendre chez le pharmacien relève du parcours du combattant quand on habite en zone rurale. Couvrir des distances de plusieurs dizaines de kilomètres par la route est un calvaire aussi contraignant que fatiguant ; et quand les routes en question se résument à des chemins de terre, des déserts arides ou des forêts tropicales, le trajet s’avère impossible. Une poignée d’audacieuses entreprises y ont vu une aubaine, un marché de niche : le transport de matériel médical par les drones. La compagnie aérienne Zipline a été la première à en percevoir le potentiel : en octobre 2016, leurs drones ont livré des pochettes de sang dans une vingtaine d’établissements du Rwanda ! Une première mondiale teintée de succès qui a conduit au partenariat Zipline – Tanzanie pour l’année 2018.
Extreme flight
Les espoirs suscités par la compagnie californienne ont inspiré une équipe de chercheurs américains. Rattachés à l’Université Johns Hopkins, ils ont décidé de mener un vol similaire à ceux de Zipline, à quelques différences près. Jusqu’ici, les études réalisées sur les drones porteurs de sang étaient toutes unanimes : les conditions de voyage en drone n’altéraient en rien la qualité du sang. Mais en serait-il de même si les conditions étaient plus extrêmes ? Les appareils de la firme ne dépassent pas les 150 km : celui des universitaires va viser les 250 km. Les drones évoluent dans un climat équatorial : les scientifiques vont expérimenter le désert d’Arizona. Il y en a qui aiment les défis…
La conception du drone cristallise toutes les craintes de l’équipe. C’est de lui seul que dépendra la réussite ou l’échec de la mission. Une attention toute particulière a donc été consacrée au design de l’appareil. Il en ressort hybride, combinant les caractéristiques d’un hélicoptère – décollage et atterrissage verticaux – et celles d’un planeur – qui augmentent son temps de vol. Alimenté par une batterie intérieure, il dispose aussi d’une glacière sur-mesure, renforcée de mousse rembourrée, pour la cargaison. Le drone est fin prêt pour son voyage, ne manque plus que le sang. Le Dr. Timothy Amukele, professeur assistant en pathologies, a récolté 21 échantillons tous issus de 21 adultes différents. L’expérience peut commencer.
Un baptême de l’air réussi
Soucieux de prouver que l’acheminement de sang par les airs représente le futur du transport médical, les chercheurs de Johns Hopkins ont procédé par comparaison. La moitié des échantillons a été envoyée sur le drone, et la seconde est restée dans une voiture climatisée. Le drone a parcouru 160 miles à travers les contrées désertiques d’Arizona, l’équivalent de 257 km. La glacière fixée à son fuselage a maintenu les pochettes de sang à une température constante de 24 °C, soit 8 °C de moins que la température extérieure.
A son atterrissage, les scientifiques ont embarqué les échantillons pour les analyser conjointement avec ceux de la voiture. Après une batterie de tests pointilleux – près de 19 incluant le comptage des cellules et la mesure des niveaux de sodium et de CO2 – les scientifiques en ont conclu que la cargaison du drone était arrivée intacte. Seuls deux résultats diffèrent significativement : les niveaux de glucose et de potassium. Mais les chercheurs pensent qu’il s’agit là d’échantillons « voiture », moins bien préservés à cause des 26 °C qui régnaient dans l’habitacle. Ils ont publié les résultats dans le American Journal of Clinicat Pathologie.
La science des drones incarne l’avenir du transport médical. Zipline et l’Université Johns Hopkins nous montrent la voie. Cette innovation technologique pourrait tout aussi bien concerner Michel Topain, habitant d’un petit village de la Creuse, que les sinistrés d’une catastrophe naturelle, les victimes d’un conflit armé… Certes la démocratisation des drones comme livreurs médicaux n’est pas pour tout de suite. Il reste un certain nombre de facteurs à prendre en compte, comme le transport d’un sang plus fragile que celui utilisé dans l’expérience, la sécurité de l’appareil et les conséquences pour les populations alentours s’il venait à s’écraser avec une cargaison de produits chimiques… Les drones spécifiques au transport de matériel médical devront être régulés, et leurs pilotes formés : établir un plan de vol qui évitera au drone tous risques de collision ne s’apprend pas dans les nuages. Beaucoup reste à faire, mais à la vitesse où nous allons, ce n’est qu’une questions de mois…
Par Matthieu Garcia, le
Source: The Verge
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