Les robots sont de plus en plus présents dans nos vies, mais vous êtes-vous déjà posé la question de savoir s’ils devaient avoir une apparence plutôt masculine ou féminine ? Cette question, qui peut paraitre anecdotique, des ingénieurs en robotique se la posent déjà, et ce qu’elle implique est loin d’être mineur. DGS vous en dit plus sur ces réflexions.
LES GENS ONT TENDANCE À GENRER LES ROBOTS
Anthropomorphiser, c’est-à-dire donner des qualités humaines à des objets, des animaux ou des plantes, c’est quelque chose que les humains font tous les jours. Or, parmi toutes ces qualités humaines que l’on attribue à ce qui n’est pas humain, on a tendance à « genrer » (c’est-à-dire donner un genre masculin ou féminin). Et cela arrive également pour les robots : par exemple la NASA ne donne pas de genre à son robot d’aide aux astronautes, Robonaut, qui est censé être de genre neutre, et le désigne comme un objet, pourtant la plupart des gens utilisent un pronom personnel pour en parler, et un pronom personnel masculin qui plus est.
« Les gens ont une tendance inévitable à genrer les robots », constate Nicolaus Radford, un ingénieur en robotique de la NASA ayant travaillé sur Robonaut. « Je sais par expérience que 99 % des gens vont désigner un robot avec le pronom ‘il’ même quand le genre de ce robot n’est stipulé nulle part », poursuit l’ingénieur. « Vous savez, ils vont dire ‘dites-moi ce qu’’il’ peut faire’ au lieu de ‘dites-moi ce que cela sait faire’. »
Il ne s’agit pas seulement d’un problème de langage ou d’un besoin irrépressible de désigner les robots comme des personnes de genre masculin ou féminin. Dans un futur qui n’est maintenant pas si lointain, les robots se trouveront partout autour de nous en tant que membres de nos structures sociales : déjà, des robots viennent en aide aux personnes âgées en s’occupant d’elles ou suppléent les instituteurs et institutrices dans les écoles, deux domaines typiquement associés au féminin. La recherche sur les interactions entre robots et humains prouve que le genre éventuel d’un robot influe beaucoup sur la manière dont on perçoit ou traite ce robot, mais aussi la manière avec laquelle on interagit avec lui, comme c’est le cas avec un humain.
En 2009 par exemple, une chercheuse en sciences sociales de l’université de Washington, Julie Carpenter, a mené l’expérience suivante : elle a demandé à 19 étudiants de regarder deux vidéos, l’une présentant un robot ayant une silhouette féminine, l’autre présentant une ressemblance avec le robot cubique du film Wall-E. Les étudiants étaient ensuite invités à remplir un questionnaire à propos des robots présentés dans les vidéos, le questionnaire leur demandant si le robot leur paraissait amical et lequel des deux les mettrait le plus à l’aise si ce dernier venait chez eux.
LES ROBOTS FÉMININS ET MASCULINS NE SONT PAS DU TOUT PERÇUS DE LA MÊME FAÇON
Dans l’immense majorité des cas, les étudiants ont préféré le robot à l’apparence féminine, même si un biais aurait pu faire pencher leur préférence vers le robot d’apparence plus féminine, à savoir le fait que ce dernier présentait une silhouette et une allure humaine. Pourtant, les réponses fournies par les étudiants ont été particulièrement intéressantes, et lorsqu’on leur a demandé de développer leur avis, voici ce que l’un des étudiants (dont le genre n’a justement pas été spécifié) a répondu : « C’est féminin, donc c’est positif. L’allure féminine a une connotation liée à la faiblesse et à la fragilité, mais d’un autre côté, elle parait plus amicale et invite plus à l’interaction. À l’inverse quand il s’agit d’un robot homme ou avec un design plus masculin, on a plus envie de se dire ‘hm peut-être que ce robot est belliqueux et que je devrai me défendre’. »
D’autres études du même genre ont conduit à des résultats tout aussi étonnants allant dans le même sens, à savoir que le genre attribué à un robot influençait la manière dont nous interagissions avec lui. Une autre étude, datant de 2005, consistait à demander à des étudiants d’expliquer leurs techniques de drague à deux types de robots, l’un identifié par les étudiants comme féminin (avec une voix féminine et des lèvres roses) et l’autre étant identifié comme masculin (avec une voix masculine et des lèvres grises).
LORS D’UNE ÉTUDE, LES PARTICIPANTS DONNAIENT MOINS DE CONSEILS AUX ROBOTS DU MÊME « GENRE » QU’EUX
Or, surprise, les étudiants ont eu tendance à donner moins de conseils aux robots appartenant au même genre qu’eux (leur « sensibilité » devait faire qu’ils devaient déjà avoir des bases) et à en donner plus à ceux d’un autre genre (pour les éduquer). Enfin, en 2009, une expérience du Musée de la science de Boston a prouvé que les hommes avaient plus tendance à faire une donation à un robot doté d’une voix féminine qu’à un robot doté d’une voix masculine, même si aucun autre paramètre ne changeait.
Les concepteurs de robots se retrouvent face à une formidable mais surtout très grave responsabilité, à savoir comment donner une apparence anthropomorphe (une apparence humaine donc) potentiellement genrée (masculine ou féminine) des robots qui vont être de plus en plus présents dans nos hôpitaux, nos écoles, nos maisons, enfin bref, partout où nous irons. Certains chercheurs suggèrent d’ailleurs qu’il serait possible de capitaliser sur certains de nos stéréotypes genrés, en profitant par exemple de notre tendance à faire plus confiance à des individus de sexe féminin pour donner une allure féminine aux robots de soins à la personne. Des robots infirmières pourraient par exemple mettre les patients plus à l’aise.
Mais cela pourrait être porteur d’un retour de bâton particulièrement douloureux, alors que depuis des décennies, des femmes se battent pour que l’ingénierie, la politique et les sciences en général ne soient plus seulement associées aux hommes. On pourrait poser la question autrement : qu’est-ce que cela voudrait dire aux yeux de tous, implicitement, si les robots d’apparence féminine étaient seulement des infirmières ou des sexbots (des poupées gonflables améliorées), et les robots d’apparence masculine des déménageurs ?
Radford, en tout cas, n’était pas prêt à reconduire lui aussi ces stéréotypes. Alors quand l’ingénieur s’est retrouvé en charge d’une équipe qui devait créer un robot secouriste au Centre spatial Johnson de la NASA pour un concours de création de robot, organisé par la défense américaine, il a décidé qu’il était nécessaire de voir naître un robot utilitaire d’apparence féminine.
« Il n’y a pas de raison que les robots des forces gouvernementales aient l’apparence générique masculine que l’on attribue justement à ces forces gouvernementales quand elles sont humaines (le cliché que tous les secouristes soient des hommes) », commente Radford avant de poursuivre : « Si nous avons des robots dans les forces de l’ordre ayant une apparence masculine, alors nous devrions aussi pouvoir en avoir ayant une apparence féminine. »
Le robot Valkyrie en action :
Pour participer au concours, le robot devait pouvoir aider des humains dans une situation de catastrophe, en étant capable par exemple de conduire une voiture, se déplacer parmi des décombres ou encore monter des escaliers. Pour le design de leur robot, Radford et son équipe se sont inspirés de costumes et d’armures portés par des femmes à travers les âges. Enfin, ils l’ont baptisé Valkyrie, du nom des Walkyries, ces guerrières qui décidaient de l’entrée ou non des héros au Valhalla (un paradis viking) dans la mythologie nordique.
« Ce que nous avons fait est vraiment nouveau », s’enthousiasme Radford. « Du coup, nous avons voulu faire les choses du mieux que nous avons pu. » De fait, la « féminité » de Valkyrie est assez subtile, puisque certains observateurs ont utilisé le pronom masculin « il » pour désigner le robot. Ceux ayant désigné Valkyrie avec un prénom féminin se sont d’ailleurs basés sur le fait que le robot présente un torse bombé suggestif (dû au fait que la batterie du robot a été placée dans son torse pour maintenir son centre de gravité à bonne hauteur).
Malheureusement, la NASA a manqué le coche en continuant de désigner ce nouveau robot comme un objet de genre neutre. Pour Radford, l’institution américaine a manqué là une bonne occasion de montrer une figure robotique féminisée qui aurait pu par exemple déclencher des vocations d’ingénieur en robotique chez les petites filles. Radford en veut pour preuve sa propre fille, âgée de 7 ans : « Elle était folle de ce robot, il a été une source majeure d’inspiration pour elle. »
Ces questions sont vraiment importantes. À la rédaction, nous avons tous eu notre mot à dire sur le sujet et les débats ont été vraiment animés. Cela nous rappelle d’ailleurs que des solutions doivent être rapidement trouvées puisque les robots vont effectivement faire de plus en plus partie de nos vies. Et vous, auriez-vous un comportement différent si vous étiez en face d’un robot masculin ou féminin ?