En août 1871, de nombreux signes laissent penser que l’hiver arctique a déjà commencé. Malgré les tempêtes de glace et les mises en garde de la communauté inuite locale, une flotte de baleiniers américains choisit de rester sur place pour tuer davantage de baleines boréales. Un désastre qui va précipiter la fin de l’industrie baleinière.

Les 32 navires qui composent la flotte se retrouvent rapidement piégés par la banquise près de la côté alaskienne de la mer des Tchouktches, et lorsqu’il devient évident que les vents ne déplaceront pas la glace, 1 119 hommes, femmes et enfants sont contraints d’abandonner les bateaux.

Entassés dans de petites embarcations, les naufragés des glaces vont voguer dans des conditions dantesques afin de rejoindre sept navires situés à plus de 100 kilomètres de distance, et tous s’en tireront miraculeusement sains et saufs.

Ce désastre va notamment contribuer à mettre un terme à l’industrie baleinière en Amérique du Nord.

Scènes de chasse à la baleine boréale au 18e siècle
auteur inconnu / Wikipedia

L’Arctique de l’Ouest ouvre ses portes à la chasse à la baleine en 1848. À cette époque, l’industrie baleinière tourne à plein régime : l’huile obtenue à partir de la graisse des cétacés constitue une ressource indispensable qui sert de combustible pour les lampes et l’éclairage public et est également utilisée dans l’industrie, tandis que leurs fanons (lames cornées garnissant la mâchoire supérieure de certains cétacés) servent à confectionner de nombreux objets ménagers.

Les baleines boréales deviennent de plus en plus importantes pour l’industrie car leurs fanons, notamment utilisés pour concevoir l’armature des corsets, se vendent à prix d’or.

Comme l’explique Eric Jay Dolin, auteur de Leviathan : « Il y a eu cette ruée vers l’or en Arctique à partir des années 1850, et les baleiniers américains étaient aux avant-postes pour chasser les gigantesques baleines boréales. »

Les conséquences de ces campagnes s’avéreront dévastatrices pour les baleines boréales, qui verront leur population diminuer de plus de 60 % en l’espace de deux décennies, et forceront les baleiniers à se tourner vers les morses.

EN L’ESPACE DE DEUX DÉCENNIES, LA POPULATION DES BALEINES BORÉALES DIMINUE DE 60 %

Une situation qui impactera fortement les communautés autochtones locales en les privant d’une source de nourriture majeure, comme le précise Brad Barr de l’US National Oceanic and Atmospheric Administration : « Le morse représentait une source de nourriture essentielle pour le peuple inuit, et lorsque les baleiniers ont commencé à le chasser, des villages entiers mouraient de faim. »

En chassant les morses, les baleiniers privent de nombreux villages inuits d’une source de nourriture essentielle
auteur inconnu / Wikipedia

DES EXPÉDITIONS DE PLUS EN PLUS PÉRILLEUSES

Les profits générés par la chasse à la baleine sont cependant trop importants pour que le monde de l’industrie ne s’émeuve de leur forte diminution.

Les flottes de baleiniers sont contraintes de s’aventurer dans des eaux de plus en plus isolées, et les désastres se multiplient. En 1845, deux navires commandés par le capitaine britannique Sir John Franklin se retrouvent perdus dans l’Arctique, qui acquiert alors la réputation d’une zone hostile engloutissant navires et équipages.

Pour Brad Barr, la flotte de 1871 a échappé de peu à un sort funeste : « Ils savaient que l’hiver arctique arrivait, mais les baleines se faisant moins nombreuses et de plus en plus difficiles à capturer, ils ont choisi de rester plus longtemps afin de remplir leurs cales de graisse et d’os. »

Jusqu’en 2015, il n’y avait aucune preuve matérielle de ce désastre. Mais l’analyse des fonds marins de la région menée par Barr et son équipe a permis de découvrir les vestiges d’au moins deux des baleiniers américains.

En utilisant un sonar, les chercheurs ont découvert la « signature magnétique » d’une épave située à 5 mètres sous la surface et ont pu distinguer les contours des coques, ancres et récipients servant à conserver l’huile extraite à partir de la graisse des baleines boréales. Avec des pertes évaluées à l’époque à 1,6 million de dollars (soit 30 millions de dollars actuels), le désastre de 1871 a un impact significatif sur l’industrie baleinière.

La plupart des navires proviennent de New Bedford (au sud de Boston), et les répercussions économiques de l’incident se révèlent terribles pour la région. Beaucoup des capitaux investis ont été littéralement engloutis par les glaces de l’Arctique, et l’industrie de l’assurance et les armateurs se retrouvent également fortement impactés par le sinistre.

Bien qu’elle ait été fortement ralentie par la catastrophe, la chasse à la baleine se poursuit toutefois. Les fanons continuent à se vendre à prix d’or, et les équipages sont prêts à prendre tous les risques. Il faut finalement attendre 1876 et la disparition tragique de 50 marins en Arctique pour que l’industrie baleinière prenne définitivement du plomb dans l’aile.

EN 1876, UNE NOUVELLE TRAGÉDIE SCELLE LE DESTIN D’UNE INDUSTRIE BALEINIÈRE À L’AGONIE

Si la baleine boréale a échappé à l’extinction au cours du 19e siècle, elle reste encore aujourd’hui une espèce menacée
bowhead-1 Kate Stafford / Creative Commons

A la fin du 19e siècle, l’huile de baleine voit sa valeur diminuer avec le développement de l’industrie pétrolière moderne, et les profits deviennent trop faibles pour justifier ces périlleuses expéditions de chasse à la baleine dans les eaux arctiques. Fort heureusement pour les baleines boréales, l’industrie baleinière s’effondre avant qu’elles ne disparaissent définitivement. Toutefois, bien que leur population semble en légère augmentation ces dernières années, leur espèce reste encore aujourd’hui menacée.

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