Une mâchoire, des marques de dents et une intelligence artificielle : l’enquête paléontologique qui bouleverse notre vision d’Homo habilis.

Près de deux millions d’années avant nos premiers feux de camp, des félins rôdaient déjà autour de nos ancêtres. Grâce à une intelligence artificielle, des chercheurs ont pu identifier formellement le prédateur qui a mis fin à la vie de deux Homo habilis. Ce sont les léopards, et non les hyènes ou crocodiles, qui ont laissé leurs marques sur leurs os. Une révélation qui bouleverse notre récit de l’évolution humaine.
Une mâchoire fossile oubliée qui révèle une scène de chasse glaçante
Pendant longtemps, la mâchoire du juvénile OH 7 et celle de l’adulte OH 65 dormaient dans les tiroirs des musées. Deux fossiles emblématiques d’Homo habilis, exhumés dans les gorges d’Olduvai en Tanzanie, souvent étudiés, jamais totalement compris. Mais voilà qu’en 2025, une équipe de chercheurs européens et américains s’arme de vision par ordinateur pour revisiter ces vestiges.

Et le verdict est glaçant : les deux individus auraient été tués et dévorés par des léopards. Des morsures, bien sûr, on en avait déjà relevé. Mais impossible, jusqu’ici, d’affirmer qu’elles étaient l’œuvre de ces félins plutôt que d’autres prédateurs de légende comme les hyènes ou les crocodiles. L’IA, elle, n’a pas hésité : plus de 90 % de précision dans l’attribution des traces, grâce à des modèles entraînés sur des centaines de morsures modernes.
L’intelligence artificielle au service de la paléontologie : quand la technologie lit les os
On pense souvent l’IA cantonnée aux voitures autonomes et aux chatbots. Mais là, elle devient un outil de paléontologie forensic redoutable. L’équipe de Manuel Domínguez-Rodrigo, chercheur à l’université d’Alcalá, a utilisé des modèles d’apprentissage profond pour « lire » les marques osseuses comme on lit un code-barres.
Dans ce cas, les morsures sur les fossiles OH 7 et OH 65 présentent des motifs caractéristiques des crocs de léopard. Le plus marquant ? La mâchoire inférieure brisée du juvénile, preuve que le fauve ne s’est pas contenté de mordre… il a dévoré. Pour atteindre l’intérieur de l’os, il fallait retirer muscles et langue : un vrai festin.
L’Homo habilis, bien plus vulnérable qu’on ne le pensait face aux prédateurs
On nous l’a souvent décrit comme le premier bricoleur de l’humanité, inventeur d’outils en pierre, pionnier du genre Homo. Mais à en croire cette étude, Homo habilis était aussi une proie régulière dans la savane du Pléistocène.
La rareté des ossements retrouvés, leur état fragmentaire, la localisation des morsures… tout indique un niveau de prédation élevé. Et pas par n’importe quel animal : les léopards, agiles, discrets, capables de traquer silencieusement même les jeunes humains. À une époque où le feu n’était pas encore maîtrisé, la nuit devait être un terrain de chasse redoutable.
Réécrire notre histoire humaine grâce à l’IA : quand les fossiles parlent enfin
Ce qui me fascine, c’est la manière dont les technologies du XXIe siècle réécrivent notre Préhistoire. Une simple mâchoire devient le témoin silencieux d’une lutte pour la survie. Et l’IA, loin de nous déshumaniser, nous rapproche au contraire de ceux que nous étions : des hominidés vulnérables, adaptables, marqués par la peur autant que par l’ingéniosité.
Cette étude nous rappelle aussi une chose essentielle : l’évolution n’a jamais été une ligne droite. Homo habilis n’est pas devenu Homo sapiens par miracle, mais à travers des millions d’années de sélections, d’échecs, de morts violentes. Des fauves ont laissé leur empreinte, littéralement, sur notre histoire.
Et aujourd’hui, grâce à l’IA, nous savons enfin qui était le prédateur.
Par Eric Rafidiarimanana, le