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Derrière les réacteurs nucléaires, une guerre économique : l’Inde fait s’affronter la France et la Russie pour 172 milliards

Le nucléaire est devenu l’un des grands champs de bataille géostratégiques du XXIᵉ siècle. Et c’est en Inde que se joue l’un des matchs les plus féroces. La Russie, forte de son ancrage historique, y défend sa position de leader grâce à ses réacteurs VVER éprouvés, tandis que la France, via Framatome, tente une percée ambitieuse sur un marché estimé à plus de 172 milliards d’euros d’ici 2047.

Grands réservoirs industriels en forme de dôme avec des grues autour, éclairés par un coucher de soleil orange.
Un vaste complexe énergétique où s’alignent plusieurs réservoirs massifs, symbole de l’industrie lourde et des enjeux énergétiques actuels – DailyGeekShow.com

La Russie avance ses pions : coopération technique, projets ambitieux et retour en force

La Russie discute activement avec l’Inde pour multiplier les projets nucléaires. Au-delà des réacteurs VVER déjà construits ou en chantier à Kudankulam, Rosatom propose désormais deux nouveaux réacteurs VVER-1200. Cette extension viserait à capitaliser sur une logistique déjà rodée, une coopération établie, et surtout une vision de long terme.

Pendant ce temps, l’unité 3 du site entre dans une phase de tests critiques, illustrant la confiance technique entre les deux pays. Rosatom ambitionne d’exporter davantage, et mise sur une chaîne d’approvisionnement fiable et reproductible.

L’Inde veut plus que des réacteurs : place aux SMR, centrales flottantes et à la souveraineté technologique

Les discussions récentes à Mumbai ouvrent de nouveaux horizons : les petits réacteurs modulaires (SMR) et les centrales nucléaires flottantes. Ce format innovant, déjà testé par la Russie avec l’Akademik Lomonosov, vise à alimenter rapidement des zones industrielles ou portuaires isolées.

Dans ce contexte, New Delhi insiste sur la localisation des savoir-faire. Le temps des simples importations est révolu. L’Inde exige des transferts de compétences, la co-construction, et une vraie montée en puissance de sa filière nucléaire. C’est une condition essentielle pour atteindre son autonomie énergétique.

La France riposte discrètement : implantation stratégique de Framatome et offensive sur les SMR

La France, loin de rester passive, vient d’ouvrir des bureaux Framatome à Navi Mumbai. Cette installation ne se limite pas à une vitrine commerciale : elle symbolise un ancrage local durable, centré sur la formation, le recrutement et la collaboration.

Framatome veut aussi capter le marché des SMR et reste positionnée sur les six EPR du site de Jaitapur. Elle propose également des services de maintenance pour prolonger la durée de vie des réacteurs existants, un marché en forte croissance.

Une croissance électrique explosive qui fait du nucléaire une nécessité stratégique

Avec plus de 1,4 milliard d’habitants, l’Inde devient chaque jour plus énergivore. Des millions de nouveaux foyers rejoignent la classe moyenne. L’Agence internationale de l’énergie prévoit un triplement de la consommation d’ici 2050.

Le nucléaire représente actuellement seulement 3 % du mix énergétique indien. Pourtant, New Delhi souhaite le porter à 9 % d’ici 2047. Cela signifie tripler la capacité installée, pour atteindre 100 GW. Un objectif qui mobilise à la fois les acteurs nationaux comme NTPC, mais aussi les fournisseurs étrangers.

La stratégie repose sur des partenariats multiples, des projets répartis entre grands réacteurs et SMR, et une estimation de marché dépassant les 200 milliards de dollars. La bataille économique et technologique ne fait donc que commencer.

Le nucléaire indien, outil d’émancipation géopolitique et vitrine régionale

Pour l’Inde, le nucléaire n’est pas seulement une source d’énergie : c’est un levier d’influence. En diversifiant ses partenaires – Russie, France, États-Unis – elle renforce son autonomie sur le cycle du combustible, développe des compétences exportables, et affirme son rôle dans la région Indo-Pacifique.

Chaque projet est ainsi évalué selon sa capacité à construire une indépendance technologique. L’Inde ne signe plus pour des installations clés en main, mais pour des alliances stratégiques sur plusieurs décennies. C’est ce qui explique la prudence et l’exigence affichées face à chaque offre.

Récapitulatif du parc nucléaire indien (2025)

IndicateurValeur
Réacteurs en exploitation24
Capacité nucléaire installée7 943 MW
Réacteurs en construction6 (4 768 MW)
Réacteurs prévus (pré-projet)10 (environ 7 000 MW)
Objectif pour 203122 GW
Objectif pour 2047100 GW
Part du nucléaire dans l’électricité produiteEnviron 3,1 %
Part des réacteurs auto-conçus (PHWR)Environ 65 %
Part des réacteurs importés (russe, français, etc.)Environ 35 %
Types de SMR en développement (BARC)BSMR-200 (200 MWe), SMR-55 (55 MWe), HTGR 5 MWt (production H2)

Par Eric Rafidiarimanana, le

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  • Quand certains pays essaient de diminuer le nucléaire et d’augmenter la part d’énergies renouvelables, d’autres veulent déployer le nucléaire ! Pourtant, pas très écolo, on n’a toujours pas résolu ce qu’on faisait des déchets, il me semble… 😉 ? Mais bon, l’argent d’abord, on verra ensuite (les générations futures, plutôt, verront pour la suite…)