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Rescapés d’un terrible naufrage, les passagers du Batavia se sont ensuite presque tous entretués

Le Batavia était un navire néerlandais affrété en direction des Indes qui fit naufrage le 4 juin 1629 au large de l’Australie. Les survivants qui débarquèrent sur l’archipel des Abrolhos furent victimes de l’un des pires massacres du XVIIe siècle, et seul un tiers des passagers et hommes d’équipage survécurent au drame. Retour sur cet épisode tragique de l’histoire.

LA COMPAGNIE NÉERLANDAISE DES INDES EST CRÉÉE EN 1602

Créée en 1602, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales est à cette époque la plus puissante des compagnies européennes présentes en Asie. Elle y possède de nombreux comptoirs pour le commerce des épices, et y envoie chaque année trois flottes de navires.

Le Batavia est l’un des fleurons de la compagnie. Ce trois-mâts long de 56 mètres qui peut accueillir 320 personnes possède 30 canons et dispose d’une capacité de 1 200 tonnes. Le 28 octobre 1628, il quitte les Pays-Bas pour son voyage inaugural avec une cargaison de pièces d’or et d’argent destinée au commerce des épices.

Le navire atteint le Cap le 14 avril 1629 et y fait escale jusqu’au 22 avril pour renouveler son ravitaillement. Lorsque le Batavia reprend la mer en direction des Indes, Ariaen Jacobsz, son capitaine, décide d’emprunter une route indirecte mais plus rapide longeant les côtes occidentales de l’actuelle Australie.

Lors de son funeste voyage inaugural, le Batavia est escorté jusqu’au Cap par plusieurs navires néerlandais.

Durant le voyage, les relations entre le capitaine Jacobsz et François Pelsaert, son super-intendant, se détériorent. L’intendant Jeronimus Cornelisz en profite pour tenter de se rapprocher de Jacobsz et envisage avec lui une mutinerie afin de se rendre maître du bateau et de sa riche cargaison.

Dans la nuit du 3 au 4 juin, le Batavia s’échoue sur une barrière de récifs située dans l’archipel des Abrolhos de Houtman. Plusieurs îlots non submersibles sont repérés et la matinée suivante est employée à débarquer 180 personnes sur un banc de récifs. Plusieurs passagers se noient en tentant de gagner l’îlot le plus proche de l’épave à la nage.

LE BATAVIA S’ÉCHOUE SUR UNE BARRIÈRE DE RÉCIFS DANS L’ARCHIPEL DES ABROLHOS DE HOUTMAN

L’archipel des Abrolhos de Houtman (à gauche) et les côtes sauvages de l’actuelle Australie (à droite)

Le lendemain, les 180 passagers sauvés sont transférés sur un îlot de 350 mètres de long situé à 2 kilomètres du navire, et sont bientôt rejoints par une cinquantaine d’autres personnes grâce à une nouvelle navette entre l’épave et l’île.

Le mauvais temps force ensuite Pelsaert, Jacobsz et une quarantaine de marins à se réfugier sur le premier îlot, tandis que 70 hommes sous la direction de Cornelisz restent à bord de l’épave.

La rupture de la coque du bateau lors du naufrage n’a pas permis à l’équipage de récupérer toutes les réserves d’eau, et Pelsaert et Jacbosz parcourent tout l’archipel pendant deux jours à la recherche d’eau potable, en vain.

Le 8 juin 1628, 48 personnes dont Jacobsz, Pelsaert, deux femmes et un nourrisson, embarquent à bord de la chaloupe du Batavia en direction de la côte australienne distante d’environ 80 kilomètres.

L’un des îlots qui compose l’archipel des Abrolhos

LES NAUFRAGÉS LES PLUS FAIBLES MEURENT DE SOIF

Les premiers jours sur l’île se révèlent particulièrement éprouvants pour les naufragés, et les plus faibles meurent de soif. Heureusement, dès le 9 juin des pluies soutenues leur permettent de constituer des réserves d’eau, et l’archipel abrite de nombreuses colonies d’oiseaux et d’otaries qui constitueront avec la pêche l’ordinaire de la nourriture.

Le 12 juin, l’épave du Batavia se disloque et 20 des 70 prisonniers du bateau parviennent à rejoindre l’îlot baptisé « Cimetière du Batavia » à la nage ou sur des radeaux de fortune. On retrouve parmi eux le sombre Cornelisz.

L’îlot abrite désormais 208 rescapés, et des embarcations de fortune et des campements sont construits avec le bois récupéré sur l’épave. Un conseil est instauré sous la direction de Cornelisz, et ce dernier envisage de réduire la population de l’île.

CORNELISZ ENVISAGE DE RÉDUIRE LA POPULATION DE L’ÎLE

L’intendant redoute en réalité que ses projets de mutinerie ne soient révélés, et s’arrange afin d’écarter du Conseil les personnes estimées fidèles à la compagnie pour les remplacer par quelques dizaines d’hommes impliqués dans le complot.

Le lieu du naufrage (en rouge) et les îlots et îles investis par les rescapés (en vert)

En explorant les îles alentours, les hommes de Cornelisz constatent qu’elles sont dépourvues de ressources en eau douce. Celui-ci réussit à convaincre plusieurs rescapés de s’y installer : quarante personnes sont abandonnées sur l’île des Otaries, 15 sont installées sur l’île aux Traitres, tandis qu’une vingtaine de soldats dirigés par Wiebbe Hayes sont envoyées sur l’île Haute.

Fin juin 1626, il reste seulement 130 rescapés sur le Cimetière du Batavia, et dès le début du mois suivant, Cornelisz fait exécuter les personnes qu’il juge peu sûres. Celui-ci va même jusqu’à en faire noyer certaines par ses acolytes après les avoir convaincues d’embarquer pour l’île Haute.

Le 9 juillet, les occupants de l’île Haute allument des feux afin d’indiquer aux autres groupes la découverte d’eau potable. Le groupe de l’île aux Traitres tente de les rejoindre à bord d’embarcations de fortune, mais Cornelisz enjoint ses hommes à rattraper les fuyards et à les abattre tous. Les meurtres se multiplient sans dissimulation et de façon arbitraire, instaurant la terreur parmi les rescapés.

Illustration représentant le massacre des résidents de l’île des Otaries par les hommes de Cornelisz

SES HOMMES ASSASSINENT LES RÉSIDENTS DE L’ÎLE DES OTARIES

Les 15, 18 et 24 juillet, Cornelisz envoie ses hommes assassiner les résidents de l’île des Otaries. Les meurtres à l’arme blanche ont remplacé les noyades, et seules les femmes sont épargnées et forcées à se prostituer.

Après une véritable épopée, la chaloupe de Pelsaert et Jacobsz a finalement réussi à rallier l’île de Java le 7 juillet, et tous ses occupants sont sains et saufs, y compris le nourrisson. Jan Coen, le gouverneur général des Indes, a renvoyé Pelsaert en expédition de secours à bord du Saerdam afin de ramener d’éventuels survivants et l’argent de la compagnie, et a fait emprisonner le capitaine Jacobsz, considéré comme responsable du naufrage.

Le gouverneur des Indes Jan Coen fait emprisonner le capitaine Jacobsz et renvoie Pelsaert porter secours aux naufragés

Dans l’archipel des Abrolhos, les hommes de Hayes installés sur l’île Haute parviennent à accéder à l’île voisine qui s’avère plus vaste, possède deux citernes naturelles pour leur consommation d’eau douce, et abrite des petits kangourous qui se laissent facilement capturer.

Bientôt rejoint par huit rescapés du massacre de l’île des Otaries et une vingtaine de fuyards du Cimetière du Batavia, le groupe mené par Hayes désormais composé de 48 rescapés prend connaissance des sombres agissements de Cornelisz et organise sa défense.

Cornelisz ne peut prendre le risque de laisser ce groupe survivre et témoigner des massacres dont il est responsable. Après deux assauts s’étant soldés par des échecs, il rassemble toutes ses forces à proximité des bastions de Hayes, et engage des pourparlers avec ce dernier. Les négociations tournent court, Cornelisz est capturé, et les cinq hommes qui l’accompagnent exécutés.

Le Saerdam arrive sur les lieux le 17 septembre, et maîtrise les mutins qui entreprennent un quatrième assaut contre les positions de Hayes pour libérer Cornelisz. Les prisonniers sont torturés afin d’obtenir des aveux, et Pelsaert parvient finalement à reconstituer le déroulement des évènements.

Cornelisz est finalement condamné à avoir les deux mains coupées et est pendu le 1er octobre 1626 sur l’île des Otaries en même temps que six de ses hommes. Les autres sont abandonnés sur la côte occidentale australienne après que le navire a mis le cap sur Batavia (aujourd’hui Jakarta), ou condamnés aux supplices de la cale et au fouet.

LE TERRIBLE JERONIMUS CORNELISZ EST FINALEMENT PENDU SUR L’ÎLE DES OTARIES LE 1ER OCTOBRE 1626

Selon les archives de la compagnie, les victimes du sanguinaire Jeronimus Cornelisz furent au nombre de 115 (96 hommes et adolescents, 12 femmes et 7 enfants). En rajoutant les morts accidentelles (noyades), par maladie et les exécutions des coupables, seul un tiers des passagers et hommes d’équipage survécurent à ce terrible drame.

Pour aller plus loin, retracez l’épopée macabre du peintre Géricault pour réaliser son tableau le Radeau de la Méduse.

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Par Yann Contegat, le

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