Dans les régions les plus tempérées du monde, la glace n’est rien d’autre que de la glace. Dans l’Antarctique, elle est tout. Elle définit ce continent qu’elle recouvre à 98 %. Mais dans les cent prochaines années, le continent blanc risque de perdre une grande partie de sa banquise, surtout dans sa partie occidentale. DGS vous explique pourquoi.
Composée de tranches d’eau de mer gelée, la banquise de l’Antarctique ne compte que quelques mètres d’épaisseur. Pendant l’hiver polaire, les mers gèlent jusqu’à ce que la glace recouvre une zone de l’océan à peu près aussi grande que le continent lui-même. À la fin de l’hiver, la glace commence à reculer, mais quelques morceaux de la banquise persistent autour de la côte pendant l’été.
La vie dans l’Antarctique dépend de la banquise qui représente à la fois logement, protection et substrat vital. Le krill, petites crevettes des eaux froides, se cache des prédateurs sur les algues sur la face inférieure de la banquise flottante, et plusieurs espèces de manchots et des phoques vivent, chassent et se reproduisent sur cette glace. Le krill est également à la base de la chaîne alimentaire pour d’autres prédateurs de l’océan Austral, des phoques aux baleines. Ainsi la diminution de la banquise est susceptible de menacer l’ensemble de l’écosystème.
« Si vous perdez la banquise, alors vous avez perdu un habitat essentiel pour une espèce très importante à la base de la chaîne alimentaire pour tous les pingouins », affirme le biologiste Jefferson Hinke.
La sensibilité de la région au changement climatique est due en grande partie à la péninsule Antarctique, une bande de terre de presque 1 300 kilomètres qui s’étend vers le nord dans l’océan Austral.
L’isolement de l’Antarctique protège la majeure partie du continent. Il est entouré par les eaux froides de l’océan Austral, dont le courant circule dans un cercle rapide autour de l’Antarctique. Ces courants font partie des plus violents et des plus tumultueux au monde mais ils agissent comme un tampon.
Nous voyons maintenant un changement dans les modèles météorologiques. Il est le produit d’un ensemble complexe d’interactions entre les systèmes atmosphériques, dû avant tout au réchauffement de l’eau des mers causé quant à lui par des émissions de gaz à effet de serre.
L’oscillation australe El Niño, phénomène climatique se manifestant à travers les variations périodiques de la température de l’eau dans le Pacifique tropical, permet de déplacer l’eau plus chaude vers le sud. Elle interagit avec le mode annulaire austral (SAM), une ceinture de vents d’ouest qui se déplace périodiquement du nord au sud. Lorsque le SAM est dans sa phase « positive », les vents se déplacent vers le sud, apportant plus de systèmes de basse pression et de tempêtes vers l’Antarctique. En particulier, il y a eu une augmentation de l’activité de tempêtes dans un système de basse pression orageuse appelée mer d’Amundsen basse.
A cause de cette eau plus chaude, la banquise se forme plus tard dans la saison, ne recouvre pas autant l’océan, et fond plus tôt que d’habitude. Ainsi, bien que le reste du continent a été gagné lentement par la banquise au cours des dernières années, celle-ci a baissé dans l’ouest de l’Antarctique. « Très souvent, les gens voient la banquise antarctique comme un monolithe », dit Elizabeth Thomas, chercheuse de l’université de Cambridge et du British Antarctic Survey. « Mais il y a de très, très grandes différences régionales. L’Antarctique est immense, l’océan Austral est énorme, et il y a un grand décalage entre ce qui se passe dans la mer de Bellingshausen, qui est juste à côté de la péninsule Antarctique, et ce qui se passe dans la mer de Ross. » Autour de la mer de Bellingshausen, la banquise baisse depuis le début du XXe siècle.
NOUS VOYONS MAINTENANT UN CHANGEMENT DANS LES MODÈLES MÉTÉOROLOGIQUES
Les plateaux de glace côtiers de l’Antarctique occidental sont en train de fondre eux aussi. Lorsque l’eau chaude atteint les bases de plateaux de glace flottante, elle fait fondre la glace de bas en haut, dans ce qu’on appelle la fusion basale. Les plateaux de glace de l’Antarctique ont toujours connu une certaine fusion basale, mais jamais autant qu’aujourd’hui. Jusqu’à ces dernières décennies, l’accumulation de neige était suffisante pour remplacer la petite quantité de glace fondant chaque année, de sorte que les plateaux de glace ont gardé environ la même taille – mais comme la fonte accélère, les chutes de neige n’arrivent plus à remplacer la glace.
Et pourtant l’Antarctique occidental reçoit plus de neige que d’habitude. D’après Thomas, la Terre d’Ellsworth en reçoit environ 33 % de plus que dans les années 1900. Son équipe a constaté que les taux de précipitations dans la région ont été assez stables de 1700 à 1900, puis ont commencé à augmenter tout au long du XXe siècle. Le changement s’accélère de façon significative à partir de la fin des années 1970.
LES PROCESSUS QUI MODIFIENT LA CÔTE DE L’ANTARCTIQUE OCCIDENTAL DEVRAIENT SE POURSUIVRE AU COURS DU PROCHAIN SIÈCLE
Certains des plateaux de glace de la région, comme le glacier de l’île du Pin, fondent très rapidement. Par conséquent, les plateaux de glace mincissent, deviennent instables, et peuvent s’effondrer. Nous avons déjà observé ce phénomène. En 2002, un plateau de glace de la taille de Rhode Island s’est effondré dans l’océan Austral. Il abritait un écosystème sous-marin de microbes chimiotrophes.
Les processus qui modifient la côte de l’Antarctique occidental devraient se poursuivre au cours du prochain siècle. Cela pourrait signifier de grands changements pour l’écosystème. A défaut de s’adapter rapidement, les espèces qui dépendent de la glace pour se nourrir et se reproduire pourraient disparaître de la région de la péninsule suite aux changements de leur habitat. « Les phoques crabiers et les manchots Adélie sont extrêmement vulnérables », affirme le chercheur Mike Goebel.
Les grandes chutes de neige ne font qu’empirer les choses, empêchant la nidification et la reproduction. En conséquence, le nombre de naissances des manchots Adélie varie fortement d’année en année, et il est difficile de dire si les oiseaux vont adapter leurs cycles de reproduction ou leurs habitudes de nidification aux nouvelles réalités de la météo Antarctique occidental.
Mais ce qui est mauvais pour une espèce peut être bénéfique pour une autre. Les manchots papous se déplacent sur une partie du territoire ouverte par la fonte des glaces. Les papous vivent généralement plus au nord, mais ils se sont déplacés récemment dans des aires de nidification sur la péninsule. Si la banquise continue de disparaître dans l’ouest de l’Antarctique, les écologistes pourraient voir les manchots papous remplacer les Adélie et les manchots à jugulaire dans la région.
D’autres espèces nordiques ne sont pas aussi chanceuses. Le nombre des otaries à fourrure (appelées aussi ours de mer) a diminué au cours des dernières années – surtout parce que les phoques léopards les ont mangées. Ces derniers chassent sur la banquise et ont un régime mixte de krill et de jeunes phoques mangeurs de crabe. « Mais comme la glace a reculé, ils semblent se nourrir davantage de bébés phoques, et de ce fait le nombre d’otaries est en baisse », précise Goebel.
LES PHOQUES CRABIERS ET LES MANCHOTS ADÉLIE SONT EXTRÊMEMENT VULNÉRABLES
Les phoques mangeurs de crabe, comme les léopards de mer, se reproduisent et mettent bas uniquement sur la banquise ; c’est aussi le seul endroit où ils chassent. Les phoques léopards peuvent avoir plus de chance ; ils peuvent le faire sur la terre ferme et chasser le krill de la rive. Et si le krill disparait avec la banquise, un grand nombre de prédateurs de l’Antarctique – sans parler des populations de baleines déjà menacées dans le monde – pourraient avoir de sérieux ennuis.
A quoi l’Antarctique occidental ressemblera-t-il dans un siècle ? Il fera probablement un peu plus chaud ; les températures moyennes sur le continent ont augmenté d’environ 0.5 °C chaque décennie depuis les années 1940, et cette tendance ne montre aucun signe d’inversion ou de ralentissement. En même temps, il y aura probablement plus de neige et de tempêtes, avec des conditions météorologiques moins prévisibles.
Une grande partie de la banquise qui entoure maintenant la côte ouest pendant les mois d’hiver aura disparu d’ici cent ans, et plusieurs plateaux de glace de l’Antarctique de l’Ouest seront en danger d’effondrement ; certains se sont peut-être déjà détachés, contribuant à la montée globale du niveau de la mer. Certaines espèces auront disparu de la région, d’autres seront en voie d’extinction ou de migration, et de nouvelles espèces seront apparues. Mais l’Antarctique oriental, tamponné par l’océan Austral, pourrait ressembler beaucoup à celui d’aujourd’hui.
En fin de compte, le sort du continent austral dépend de personnes vivant à plusieurs milliers de kilomètres de là. Certains observateurs disent que ce qui se passe dans l’Antarctique occidental aujourd’hui pourrait être un aperçu de la façon dont la moitié du continent pourrait répondre à des changements similaires si le réchauffement planétaire se poursuivait à ce rythme. Cela est particulièrement vrai pour les animaux qui peuplent le paysage glacé.
A la rédaction, nous sommes très inquiets de la disparition menaçant ces espèces. Et vous, quels sentiments vous inspirent la projection dans le futur de cette immense réserve naturelle ?