Les femmes à barbe ont fait partie de la grande tradition des spectacles forains au 19e siècle et étaient souvent présentées comme des « monstres de cirque ». Annie Jones était l’une des plus célèbres d’entre elles et s’est battue vers la fin de sa vie pour ne plus être qualifiée de la sorte.
UNE « ATTRACTION » INCONTOURNABLE
Annie Jones nait en Virginie en 1865 et ses parents découvrent avec stupeur que son menton est couvert d’un épais duvet. Passé le choc initial, ces derniers ne tardent pas à se rendre compte qu’ils pourront gagner beaucoup d’argent grâce à cette particularité physique rare.
À seulement neuf mois, l’enfant est exhibée dans un musée du quartier de Broadway à New York à l’occasion d’une exposition organisée par le célèbre P. T. Barnum, entrepreneur de spectacles américains réputé pour ses célèbres exhibitions de « monstres humains » : les freak shows.
Elle est rapidement surnommée « l’Enfant Ésaü », une référence évidente au frère de Jacob dans l’Ancien Testament, qui disposait selon les textes anciens d’une importante pilosité faciale.
Jones est souvent décrite comme « le plus merveilleux spécimen d’humain à la pilosité surdéveloppée depuis l’époque lointaine d’Ésaü » et fait ses premiers pas dans le monde du cirque avant même de pouvoir marcher.
La petite fille devient rapidement l’une des attractions phares du cirque Barnum, et ce dernier, flairant le bon filon, offre à sa mère un juteux contrat de trois ans (les Jones perçoivent alors la somme de 150 dollars par semaine) pour pouvoir « exploiter » ses talents.
Malheureusement, Annie Jones va travailler pour le cirque Barnum durant une période bien plus longue que ne le prévoyait initialement son contrat. D’abord surnommée « l’Enfant Esaü », elle sera plus tard appelée « la Dame Esaü » puis, plus simplement, « la Femme à Barbe ».
Jones séduit le public en jouant sur le contraste entre sa pilosité surdéveloppée et ses côtés très féminins : elle porte de belles et coûteuses robes et apprend également à jouer de la mandoline. Ces particularités participent grandement à son succès et font de son numéro l’un des plus réputés du cirque Barnum.
JONES SÉDUIT LE PUBLIC EN JOUANT SUR LE CONTRASTE ENTRE SA PILOSITÉ SURDÉVELOPPÉE ET SES CÔTÉS TRÈS FÉMININS
Aujourd’hui encore, les historiens s’interrogent sur les causes exactes d’une telle pilosité, bien que beaucoup estiment qu’il s’agissait d’hirsutisme, une maladie se caractérisant par « l’apparition d’une pilosité répartie selon un type masculin dans des zones normalement glabres chez la femme » qui touche environ 5 à 10 % des femmes.
Si Jones est devenue la femme à barbe la plus célèbre de l’époque grâce à sa participation à l’incontournable spectacle de Barnum, elle était loin d’être la seule à souffrir d’une telle condition.
Née en 1834, la Mexicaine Julia Pastrana était presque entièrement couverte de poils, ce qui lui valait le surnom de « femme singe ». Elle tourna à travers toute l‘Europe au milieu du 19e siècle, et à sa mort en 1860, son corps fut momifié et exhibé pendant des décennies.
Tout comme Pastrana avant elle, Annie Jones peine à s’épanouir en dehors de la scène. En 1880, elle épouse Richard Elliot, un « aboyeur » (l’homme qui attire l’attention des passants et les invite à assister au spectacle), alors qu’elle est âgée de seulement quinze ans. Mais en raison de cette forte différence d’âge, ses parents désapprouvent leur union.
Néanmoins, leur mariage va durer quinze ans et se terminera par un divorce en 1895. Peu de temps après, Jones épouse un certain William Donovan, qui devient officiellement son producteur et avec qui elle tourne à travers l’Europe entière pendant quatre ans. Lorsque son époux meurt subitement, elle décide de rejoindre sa seule véritable maison : le cirque Barnum.
LORSQUE SON SECOND MARI MEURT SUBITEMENT, ANNIE JONES EST CONTRAINTE DE REJOINDRE LE CIRQUE BARNUM, SA SEULE VÉRITABLE MAISON
Bien que Jones doive ses importants revenus et sa célébrité au fait d’avoir été présentée comme un « monstre » par Barnum durant la quasi-totalité de sa vie, elle décide de se battre pour que ce terme ne soit plus utilisé pour qualifier les artistes présentant certaines particularités ou malformations physiques rares. Elle décède des suites de la tuberculose en 1902, à seulement 37 ans.