Il y a quelques jours, nous avons eu le plaisir de rencontrer Alice Pegna, une plasticienne de talent. Véritable artiste, elle crée des robes et accessoires… en spaghetti ! Un travail fragile et minutieux, dont vous pourrez connaître les raisons dans cette interview inspirante.
Bonjour Alice et merci de répondre à nos questions. Comment êtes-vous venue à la création artistique, quel est votre parcours ?
Depuis l’enfance j’ai été baignée dans l’art grâce à mes parents, mon père est photographe et ma mère artiste peintre, j’ai évolué avec eux, ils m’ont transmis leur sensibilité, la passion, la rigueur, la curiosité, un regard sur l’art et la beauté de chaque détail de l’univers.
J’ai toujours su que je suivrais une voie qui me correspondrait et qui serait en accord avec moi-même. A la suite du bac, je me suis dirigée vers une école préparatoire : les Ateliers de Sèvres, où j’ai pu m’exprimer librement, trouver mon écriture et mon univers. Ensuite, j’ai suivi des cours d’architecture intérieure et de design à l’école Camondo. Durant toutes ces années d’étude, je réalisais en parallèle mes œuvres en spaghettis, ma première création a été réalisée durant mon année préparatoire. Aujourd’hui, je travaille en tant qu’architecte d’intérieur à l’Agence Jouin Manku, tout en continuant d’exercer mon activité d’artiste.
Que vous apporte la création, d’où puisez-vous votre inspiration ?
La création est une manière de s’évader, de libérer nos pensées, elle s’exprime pour chacun de manières différentes, que ce soit de manière visuelle, auditive, olfactive, tactile, pour créer comme pour percevoir nous faisons appelle à tous nos sens, ils sont essentiels, nous les utilisons pour décrire, comprendre et s’exprimer.
La création, l’imagination ne cessent d’être présentes dans le quotidien, nous sommes tous créateurs d’émotions, seul le chemin diffère ainsi que l’intention souhaitée. Nous passons par nos sens pour décrire quelque chose, pour raconter, pour imager, l’artiste exacerbe ses sens pour concevoir et nous procurer des émotions. Le musicien ne crée pas la musique, il détourne des sons, les transforme, les assemble pour en former de nouveaux. « Rien ne se perds, rien ne se créer, tout se transforme », (Anaxagore) l’artiste ne crée pas, il transforme des émotions pour nous en faire éprouver de nouvelles.
L’art est avant tout un partage de sensations, il permet de traduire des choses, de les reformuler, il n’a pas toujours besoin d’avoir d’explications pour s’exprimer et pour se faire comprendre. L’art est libre dans son interprétation, nous ne faisons que suggérer.
Pour moi tout est inspirant, je me nourris de tous ce que je vois de ce qui m’entoure, que ce soit dans le domaine artistique ou non, je puise mon imagination dans la nature, la faune, les sciences, l’anatomie, les mécanismes, les neurosciences, la philosophie, la musique et bien d’autres domaines encore. Il faut savoir que toutes les formes sont déjà présentes dans la nature, la nature est une mine d’or pour créer, c’est la base de tout.
Comment décririez-vous en quelques mots Ex Nihilo, votre dernier projet ?
L’intitulé « Ex-Nihilo » qui vient de l’expression « Ex-Nihilo nihil fit » ce qui signifie « Rien ne vient de rien », concerne l’ensemble de mes projets, réalisés ou à venir. Mon premier projet a été de prendre conscience des formes du corps humain, de sa structure, de le retravailler, de changer le regard que l’on a de lui en le masquant le moins possible, je viens ajouter des structures externes au corps humain comme des exosquelettes qui prennent la forme de robes, de parures.
Avec votre dernier projet, Ex Nihilo, vous mêlez l’art à la mode tout en utilisant comme matériel de prédilection une denrée comestible, des spaghetti. Selon vous, le rôle de l’art est-il de casser les codes ou de briser certaines frontières invisibles ?
Selon moi, l’art n’a pas de barrière ni de sexe. Comme je le disais précédemment, l’art est un moyen d’expression à nos sentiments, le résultat ne sera jamais le même en fonction de notre humeur, de nos pensées, nous ne contrôlons pas les pensées d’autrui, nous pouvons cependant les suggérer. L’art est présent pour exprimer notre vécu, notre ressenti, nos envies, notre histoire. Chacun a sa propre définition de l’art mais le résultat en est le même, nous éprouvons, nous ressentons, nous vivons. J’utilise une denrée périssable et fragile pour évoquer l’aspect éphémère de la vie et du corps humain. Les seules barrières à l’art sont celles que nous nous imposons à nous-mêmes, de par notre passé, notre culture, notre éducation, la société, etc., ce que nous appelons des croyances limitantes nous empêchent d’être nous-mêmes.
En tant que femme, votre travail est-il un moyen pour vous de rendre hommage au corps féminin, en particulier dans un univers controversé comme la mode ?
Mon support de création est le corps humain et non le corps féminin, dans mes projets à venir le corps féminin, masculin et animal sera mis en avant.
Quels sont les artistes, tous domaines compris, qui vous inspirent lors de votre processus de création ?
Lors de mon processus de création, de mes réflexions, Darwin, Nietzsche, Ludovico Einaudi peuvent être des sources d’inspirations. Lorsque certains m’apportent la connaissance et la réflexion, les autres m’apportent la sérénité, le calme, le vide, et les émotions pour composer.
Quels sont vos projets pour l’avenir ? Comptez-vous approfondir les problématiques soulevées par vos projets actuels ou comptez-vous vous concentrer sur des sujets différents ?
Concernant mes projets futurs, le corps restera mon support de création, qu’il soit masculin, féminin ou animal. Mes intentions se porteront tout d’abord sur les relations homme-animal, et essentiellement sur les problématiques de l’emprise de l’homme sur la faune et ses conséquences. Notamment les mutilations infligées aux animaux sauvages dans le seul but d’étancher la soif de domination et de pouvoir de l’homme. Certaines croyances et coutumes ne sont pas simplement limitantes, elles ont aussi des conséquences catastrophiques sur l’environnement. Je me pencherai particulièrement sur les « massacres » que l’homme expose en trophée, en recréant les membres fantômes.
Par la suite, ma réflexion se portera également sur l’homme et ses connexions, mais cette fois-ci sur le développement de soi, ce qui nous définit, la relation avec notre passé et l’instant présent. Mon désir est de mettre en avant les barrières que nous imposent la société, nos croyances, notre éducation, notre culture, notre histoire et nous-mêmes. Je souhaite montrer les conflits intérieurs qui nous animent et permettre aux personnes, d’ouvrir les yeux et de se poser des questions.
Dans le futur, avec qui aimeriez-vous collaborer, et où rêvez-vous d’exposer ?
Pour l’avenir, j’aimerais collaborer avec des philosophes, des scientifiques, des biologistes. Leur connaissances sur les sujets m’apporteraient énormément dans mon intention/désir de créer un art qui puisse aider au développement personnel. Mon désir serait de mettre en place des œuvres qui par leur expression amèneraient les personnes à l’introspection et de ce fait à leur propre développement personnel. Travailler en corrélation avec ces personnes permettrait de véhiculer des messages, au travers des ressentis et des sensations. L’apprentissage se fait par nos sens, la connaissance s’acquière avec l’expérience, le temps, mon désir serait d’allier la connaissance et l’ouverture d’esprit au développement personnel au travers de l’art. Si nous assimilons mieux lorsque nous ressentons, l’art pourrait alors être un très bon moyen pour transmettre des connaissances.
Nous vous remercions d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
N’hésitez pas à consulter les sublimes créations d’Alice Pegna sur son site internet, ainsi que sur son compte Instagram, vous ne serez pas déçus !