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Des mines oubliées relâchent un CO₂ vieux de millions d’années : une pollution invisible menace notre climat actuel

Une menace géologique méconnue : des mines abandonnées relâchent discrètement du CO₂ ancien, aggravant le réchauffement climatique sans entrer dans les bilans officiels.

Entrée d’une ancienne mine abandonnée dans la forêt, d’où s’échappe de la vapeur, illustrant les émissions de CO₂ provenant de sites miniers oubliés.
Certaines mines désaffectées, comme celle-ci, continuent de relâcher du dioxyde de carbone des décennies après leur fermeture, posant un risque environnemental méconnu © DailyGeekShow / Image Illustration

Dans les mines abandonnées, un CO₂ fossilé remonte lentement et passe sous les radars climatiques

Imaginez une ancienne galerie de charbon, sombre, effondrée, engloutie sous la mousse et les souvenirs industriels. Finie, oubliée ? Pas tout à fait. Sous la Pennsylvanie, la Virginie-Occidentale ou le Pays de Galles, ces labyrinthes souterrains continuent de vivre. Et surtout, ils respirent encore du CO₂. Non pas celui des moteurs ou des usines, mais un carbone fossilisé depuis des millions d’années, relâché par des réactions chimiques imprévisibles.

La géochimiste Dorothy Vesper l’a démontré lors du congrès 2025 de la Geological Society of America. Certaines mines désaffectées émettent autant de dioxyde de carbone qu’une petite centrale thermique. Pourtant, rien de cela n’apparaît dans les bilans climatiques officiels. Ces « fuites naturelles anthropogéniques » passent entre les mailles du filet.

Avant les lois de 1977, des milliers de puits ont été laissés à ciel ouvert, sans surveillance. Aujourd’hui, leurs eaux acides s’infiltrent dans la roche. Elles rongent les couches calcaires et libèrent un CO₂ dissous qui s’échappe ensuite à la surface. C’est une pollution lente, silencieuse et presque indétectable. Elle rejoue en sourdine le poids du passé industriel sur notre avenir climatique.

Une chimie invisible transforme les mines en sources de CO₂ fossilé libéré dans l’air

Tout commence avec un minéral : la pyrite, ce « soufre du diable » qu’on trouve dans le charbon. Lorsqu’elle entre en contact avec l’eau, elle produit de l’acide sulfurique. Ce dernier attaque ensuite les roches calcaires. Ces carbonates renferment du CO₂ ancien, resté piégé dans les strates depuis des ères préhistoriques. En se dissolvant, ils libèrent des ions carbonates. Ces derniers se transforment en dioxyde de carbone dissous.

L’eau monte, atteint l’air, et le gaz s’échappe. C’est ce phénomène de « dégazage » que Vesper et son équipe ont traqué. Mais comment mesurer un tel flux dans un ruisseau acide au fond d’une forêt ? En adaptant… un capteur utilisé dans les brasseries pour contrôler les cuves de fermentation ! Oui, l’outillage de la bière pour suivre le souffle d’une mine.

Et les chiffres sont étonnants. Jusqu’à 13 millimoles de CO₂ par litre d’eau ont été relevés. C’est mille fois plus que dans une eau normale. On parle là de valeurs comparables à certaines sources hydrothermales de l’Himalaya. Dans ces zones, les plaques terrestres se frottent et libèrent des gaz d’origine métamorphique. Une respiration tellurique amplifiée par l’homme, en somme.

De la Pennsylvanie à l’Europe, une pollution répandue mais sous-estimée

En 2016 déjà, Vesper estimait entre 18 et 364 tonnes de CO₂ émises chaque année par 140 sites miniers en Pennsylvanie. Ce n’est qu’une fraction. L’état compte plus de 5 000 mines abandonnées. Et le phénomène n’est pas uniquement américain. En Europe aussi, les bassins charbonniers anciens sont nombreux : Ruhr, Nord-Pas-de-Calais, Silésie…

Mais voilà le problème : ces émissions ne sont ni monitorées, ni incluses dans les inventaires nationaux. Elles proviennent d’une activité terminée depuis longtemps. Elles sont donc considérées comme closes. Or, les bilans carbone mondiaux cherchent la moindre molécule à compenser. Pendant ce temps, du CO₂ fossile file entre les mailles du réseau, impunément.

La pollution continue, sans bruit. Et si l’on se fie aux extrapolations prudentes des scientifiques, le cumul mondial des dégazages miniers pourrait être loin d’être négligeable. La planète paie donc une double dette : celle de l’extraction et celle du silence qui suit.

Que faire d’une pollution ancienne mais active ? Le dilemme climatique de l’oubli industriel

Voici donc une question troublante : comment traiter une pollution venue du passé, mais encore active dans le présent ? Car on ne parle pas d’un robinet qu’on peut fermer. Ces mines ne peuvent pas être bouchées ou colmatées simplement. Les réactions géochimiques sont en cours. Elles sont profondes, et parfois inaccessibles.

Faudra-t-il un jour intégrer ces émissions dans les comptabilités carbone officielles ? En faire des objectifs de compensation ? Lancer des projets de captation sur ces sites oubliés ? Rien n’est tranché. Mais ignorer cette pollution invisible, c’est continuer de fausser les calculs. Et surtout, de sous-estimer l’impact réel de notre héritage industriel.

La Terre respire encore le charbon qu’on croyait enterré. Et son souffle est chaud.

Par Eric Rafidiarimanana, le

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