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Viols organisés de femmes et pédophilie sur Telegram : révélation d’un réseau atroce en Corée du Sud

Plus de 260 000 utilisateurs exploitaient des mineurs et des femmes pour assouvir leur perversion

Alors que tout le monde est préoccupé par l’épidémie de coronavirus, un scandale secoue la Corée du Sud. Il s’agit de l’affaire de la Nth Room, un des réseaux d’exploitation sexuelle parmi les plus importants récemment démantelés dans le pays. Créé sur l’application Telegram, il permettait aux utilisateurs d’avoir accès, parfois moyennant finance, à des « chambres » où circulaient du contenu pornographique et pédopornographique extrême. Parmi les 103 victimes déjà identifiées, 26 sont des enfants. L’affaire a suscité une vive émotion dans le pays et mis en lumière les problèmes de la société.

La Corée du Sud, un pays à la misogynie ancrée

La Corée du Sud est un pays où la pression qui repose sur la femme en société est encore plus importante qu’en Europe, notamment au niveau du paraître. Le recours à la chirurgie esthétique est d’ailleurs quelque chose de très fréquent, pour les hommes comme pour les femmes. De plus, contrairement à l’Europe, la pornographie y est complètement interdite. Pour appréhender le contexte de façon plus globale, il est bon de rappeler les problèmes liés à la sexualité. Ainsi, selon un rapport de l’ONG internationale ECPAT, qui lutte contre le trafic sexuel des enfants, « la Corée du Sud reste l’un des fournisseurs les plus significatifs de pornographie pédophile ». De même, le pays tente de lutter contre le phénomène du “molka”, qui consiste à filmer les femmes à leur insu dans leur intimité, comme dans les toilettes, les chambres d’hôtel, ou encore en prenant des photos de leur sous-vêtement sous leur jupe. Pour cette raison, le téléphone émet toujours un bruit en Corée du Sud quand une photo est prise, afin d’éviter que celle-ci soit prise en douce sans le consentement de la personne. La société change petit à petit alors que le problème du sexisme est amené sur le devant de la scène grâce à différentes affaires. Récemment, l’affaire du “Burning Sun”, une boîte de nuit célèbre qui distribuait entre autres de la drogue aux clients privilégiés pour leur permettre de violer des clientes, a secoué la population coréenne.

L’affaire de la Nth Room, ou Enième Chambre, a été révélée par deux étudiantes universitaires, qui se sont surnommées Team Flame. Elles ont commencé à enquêter sur des forums de discussion en juillet 2019 afin de participer à un concours de journalisme d’investigation organisé par la Commission de l’agence de presse coréenne. Dans une interview, l’une des deux jeunes femmes explique pourquoi un tel phénomène existe : “L’essence est la misogynie. Il s’agit d’objectiver les femmes et non de les traiter comme des êtres égaux. C’est un trait fondamental de tous les participants. Dans le monde hors ligne, il semble que les droits des femmes se soient améliorés. Mais dans le monde virtuel, c’est une autre histoire. C’est une question de conscience des gens, mais la conscience est ensuite façonnée par la société. Nous ne pouvons pas simplement blâmer les individus. Nous devons comprendre que l’État a laissé cela se produire – en imposant de faibles sanctions aux auteurs et en ne protégeant pas les victimes.” 

« La Corée prend les délits sexuels numériques à la légère », poursuit Kim, l’une des membres de l’équipe. « Nous utilisons des mots comme molka pour diminuer la signification des vidéos d’exploitation sexuelle. Cela les fait ressembler à un petit problème et en retire l’essence d’être un crime d’exploitation sexuelle numérique. Nous n’avions pas considéré les délits sexuels numériques comme des délits majeurs, et cela est évident dans le langage que nous utilisons. Maintenant que nous l’avons réalisé, nous devons changer. »

— TY Lim / Shutterstock.com

Chantages et vidéos pornographiques

Les deux journalistes ont mis au jour un salon de discussion illégal du service de messagerie Telegram qui permettait de faire transiter du contenu pédopornographique et pornographique obtenu sans le consentement des victimes. Telegram est une application connue pour son anonymat, puisque ses conversations cryptées permettent d’obtenir une confidentialité presque totale. Il est possible d’y créer des “rooms” pour y discuter, qui sont accessibles uniquement via un lien. C’est ce qui a donné le nom de Nth Room, pour “énième salle”. Chaque room possède une spécialisation ; certaines sont accessibles gratuitement, mais beaucoup sont payantes. Les voyeurs payaient de 250 000 à 1,5 million de wons (de 187 à 1 125 euros) selon la pièce choisie. Pour accéder aux pièces les plus chères, il ne fallait pas seulement être spectateur mais aussi acteur de la room, en fournissant soit du contenu pornographique, soit des informations privées sur des femmes. Pour certaines rooms, il fallait qu’ils envoient une photo de leurs parties génitales pour prouver qu’ils étaient bien des hommes.

On dénombre environ 250 000 vidéos d’agressions sexuelles. Pour fournir ce contenu, les organisateurs avaient recours au hacking social, qui consiste à manipuler une victime pour lui soutirer des informations. Ensuite, ils lui faisaient du chantage, en menaçant de diffuser des photos intimes d’elle, de diffuser ses données personnelles, voire de se rendre chez elle ou chez ses proches pour leur faire du mal. Ce qu’ils demandaient aux femmes de faire est extrêmement violent. Les contenus allaient de la photo dénudée à la scarification. Les victimes devaient se couper le téton, se faire violer par plusieurs hommes, s’insérer une paire de ciseaux dans le vagin, manger leurs excréments ou encore se tatouer “esclave” sur le corps avec une lame. Selon un journal local Hankyoreh, un des utilisateurs s’est même filmé en live en train de violer une des filles qui avait tenté de résister, après l’avoir appâtée dans un hôtel. 

Un des salons de discussion, nommé la Loli Room, était consacré au contenu pédopornographique, avec des vidéos d’enfants rampant par terre avec des zooms sur leurs organes génitaux. Pour les deux journalistes, certaines vidéos étaient réalisées et partagées, sans aucune obligation, par des membres de la famille des victimes.

Pour l’instant, les autorités estiment à 260 000 le nombre d’utilisateurs des rooms, dont 15 000 qui auraient payé pour accéder aux salles plus violentes. Les journalistes de la Team Flame estiment à une moitié le nombre de personnes étrangères à la Corée du Sud dans les rooms, ce qui montre que ce problème n’est pas exclusif au pays

Des hommes comme tous les autres

Les noms qui revenaient sur les forums étaient Baska et Watchman. Ce dernier, un homme de 38 ans, a dirigé une room du nom de Gotham Room d’avril à septembre 2019, qui contenait environ 10 000 vidéos de pornographie violente, dont beaucoup de viols, et une centaine de vidéos pédopornographiques. Pacific Ocean, un utilisateur de 16 ans, a dirigé la room Pacific Ocean Expedition pendant plus de 1 an et aurait vendu entre 8 000 et 10 000 vidéos. 

Mais la personne la plus importante de ce réseau était un dénommé Baska, le fondateur du système. Son pseudo Baska signifie « docteur » ou « gourou ». Cho Ju-bin de son vrai nom, ce diplômé en communication de 24 ans avait été rédacteur en chef du journal de son université, dans lequel il avait écrit un article pour la prévention des agressions sexuelles. Une personne des plus normales en apparence. La police coréenne a accepté de révéler publiquement son identité et son passé, alors qu’habituellement, dans les crimes sexuels, l’anonymat est garanti. 

Comme l’explique Le Monde, une disposition de la loi autorise à transiger si cela « relève de l’intérêt public, garantissant par exemple le droit d’information des citoyens, empêchant le suspect de récidiver et prévenant des crimes similaires ». Des pétitions lancées sur le site de la présidence sud-coréenne, la Maison Bleue, avaient réuni près de cinq millions de signatures pour que l’identité des coupables soit publiquement dévoilée, ce qui a mis la pression aux autorités. Cho Ju-bin a été condamné à 18 mois de prison ferme.

Alors que l’enquête se poursuit, la police recherche plus de 10 000 clients de la Chambre N grâce aux paiements effectués en cryptomonnaies. Elle a également lancé une vaste opération de répression de ces réseaux en ligne. 140 suspects ont été interrogés dans 98 affaires, tandis que 23 ont été mis en examen.

Une législation qui doit être renforcée

Le président Moon Jae-in a exigé une enquête approfondie sur les crimes sexuels en ligne. La ministre de l’Égalité des genres et de la Famille, Lee Jung-ok, s’est quant à elle engagée à durcir la législation contre les infractions sexuelles en ligne. « Nous lutterons plus sévèrement contre les crimes ciblant les enfants et les adolescents », a-t-elle déclaré.

En Corée du Sud, la définition du viol pose problème car le viol est défini comme “résultant de la violence ou de l’intimidation” plutôt que de l’absence de consentement. Pour voir sa plainte acceptée, la victime doit avoir résisté. En 2016, 55 % des plaintes pour viols avaient été classées sans suite selon l’Institut de la justice. Au tribunal, la victime doit ensuite prouver qu’elle s’est débattue. Il n’est pas rare que des poursuites soient abandonnées car la victime n’avait pas “suffisamment résisté”. Ces dernières peuvent même recevoir une plainte pour diffamation de la part de l’agresseur par la suite. Autant de raisons qui poussent les victimes à garder le silence.

De plus, les sanctions infligées pour les délits sexuels en ligne sont depuis longtemps critiquées car jugées trop légères par les associations de défense des droits des femmes, comme l’explique Le Monde. La création ou la distribution de photographies ou de vidéos contre la volonté d’une personne sont passibles de cinq ans de prison ou d’une amende de 30 millions de wons, ce qui équivaut à 22 300 euros. L’affaire de la Nth Room va peut-être faire évoluer les choses.

Une excellente vidéo explicative pour creuser le sujet

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