C’est pour dénoncer les fléaux du totalitarisme qui prirent place sur le théâtre du XXe siècle que George Orwell a écrit 1984, son roman éponyme. L’ombre du fascisme irrigué par une idéologie unique et intransigeante cristallise encore l’idée que l’homme moderne se fait de la racine du mal. Les États-Unis, jusqu’à présent considérés comme la plus grande démocratie du monde, ravivent ces craintes avec l’élection de Donald Trump, la preuve, 1984 est aujourd’hui en tête des ventes sur la version américaine d’Amazon.
D’après Hannah Arendt, le totalitarisme a vocation à changer l’ordre du monde pour lui donner l’aspect voulu par le pouvoir qui s’en trouve à l’origine. Ce système, c’est celui décrit par George Orwell dans 1984, un système au sein duquel l’individu est entièrement façonné par l’État. La police de la pensée veille à ce que tout un chacun respecte le système de double-pensée, qui consiste à remplacer sa propre vision de la réalité par celle du parti de Big Brother. Toute réflexion ou opinion qui diffère un tant soit peu de la doctrine du parti est alors considérée comme un crime.
Si Donald Trump n’a pas encore puni le crime de penser, il a déjà commencé à proposer une version altérée et exclusive de la réalité. Sa haine des médias tout d’abord, auquel il reproche de mentir et de manipuler l’information, démontre son hostilité au pluralisme idéologique. Ses récentes mesures ensuite, qui tendent à brider la communication des agences gouvernementales, réaffirment sa vocation à imposer une vision du monde qui ne souffre d’aucune contradiction. Son mensonge enfin, présenté par sa conseillère Kellyanne Conway comme des » faits alternatifs « , sur le nombre de personnes présentes à son investiture, prouve sa volonté d’imposer sa propre conception de la réalité en dépit de la vérité.
Il est extrêmement difficile de donner une définition de la vérité tant on sait combien elle varie d’un individu à l’autre. Il est vrai qu’il n’existe pas de vérité absolue mais que le monde se construit autour d’un ensemble de perceptions et de points de vue. Les constructivistes considèrent à ce titre que la réalité des individus varie en ce qu’elle émane d’une construction sociale façonnée par les institutions et les différentes instances de socialisation, les relativistes, quant à eux, pensent qu’il existe un programme de vérité propre à chacun.
Congratulations to @FoxNews for being number one in inauguration ratings. They were many times higher than FAKE NEWS @CNN – public is smart!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 25 janvier 2017
Pourtant, la notion de vérité telle qu’elle est présentée dans 1984 reste fondamentale. Non seulement, ni le parti de Big Brother ni Trump n’ont le droit d’imposer leurs idées dans un monde où la vérité est relative mais en plus, il existe certaines vérités qui ne peuvent être altérées. James Conant considère que 1984 est un roman sur la nécessité de préserver la vérité objective. Selon lui, Orwell n’a aucune prétention métaphysique, il ne s’agit pas de définir un modèle de vérité absolue. En revanche, il explique que pour Orwell, il existe certaines évidences ordinaires, certains repères permanents comme les lois de la nature ou les lois mathématiques, qu’on ne peut altérer sans remettre en cause la liberté de l’individu. C’est ce qui se passe dans 1984 où le parti cherche à régir la réalité de chacun.
« Le Parti finirait par annoncer que 2 et 2 font 5 et il faudrait le croire […] Ce n’était pas seulement la validité de l’expérience, mais l’existence même d’une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie ». Cette phrase ne vous rappelle-t-elle pas quelqu’un ? Donald Trump aussi a menti sur le nombre de personnes présentes à son investiture, il est allé jusqu’à envoyer son porte-parole Sean Spicer pour affirmer qu’un million et demi de personnes avaient assisté à la cérémonie et que « jamais autant de monde ne s’était déplacé pour une investiture », alors que le National Mall a vraisemblablement battu des records d’absence pour la prise de la fonction présidentielle aux États-Unis.
La dénomination de « faits alternatifs » employée par Kellyanne Conway pour parler d’un chiffre est très grave en ce que justement, les chiffres ne peuvent mentir à moins qu’on les fasse mentir, ils sont de ces vérités objectives qui ne peuvent être remises en question. Tout comme Winston, héros de 1984, à qui le parti de Big Brother désapprend à compter, Trump commence à objectiver son point de vue pour l’ériger en vérité au détriment de repères inébranlables.
Des phénomènes semblables tendent à se généraliser, à tel point que les médias et les publics ont fini par mettre un mot dessus, à savoir le terme de post-vérité. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée de Donald Trump à la tête de la plus grande démocratie du monde qu’il devient possible de mesurer l’intensité du drame. Attention à vous, Donald Trump vous regarde et bientôt, il vous faudra penser pour et par lui.
Par Antoine - Daily Geek Show, le
Source: Konbini
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