Akira. Voilà bien un nom qui ne sonnera pas étranger à tout amateur de manga qui se respecte. Mais tout le monde devrait prendre le temps de s’intéresser à cette oeuvre culte ! Pré-publiée de 1982 à 1990 au Japon et adaptée en long-métrage d’animation en 1988, Akira est une oeuvre monumentale qui demeure encore aujourd’hui d’une ampleur inégalée, que ce soit par les thèmes qu’elle aborde ou sa composition visuelle incroyable. On revient avec vous sur ces 5 raisons qui font qu’il faut absolument lire Akira !
Un pitch de base plutôt cool
Ce qui fait toute la hype d’Akira, et qui est devenue emblématique de l’oeuvre, c’est la fameuse moto rouge de Kaneda. Cette dernière semble en effet symboliser toute la rage qui emplit le personnage qui la chevauche. À Neo-Tokyo en 2019, les rues de la mégalopole détruite en 1982 par une explosion ayant déclenché la Troisième Guerre mondiale sont parcourues de gangs de motards désoeuvrés en quête de sensations fortes. C’est au cours de l’une de ces étranges virées que Tetsuo, l’un des membres du gang de Kaneda, va avoir un accident en tentant d’éviter un étrange enfant au visage de vieillard.
Tetsuo est ensuite emmené par des agents du gouvernement qui vont chercher à utiliser ses capacités télékinésiques nouvellement acquises, mais ce que personne ne sait, c’est que ces évènements sont en train de réveiller Akira et mèneront à une autre apocalypse destructrice… Ce qui marque dans Akira, c’est cet univers incroyablement sombre, crédible et dans lequel les personnages ne sont jamais unidimensionnels. La maturité qui se dégage de l’oeuvre écrite par Katsuhiro Otomo est vraiment prenante et ne manque pas de trancher avec l’image que l’on se fait généralement des mangas.
Une métaphore du Japon de l’après Seconde Guerre mondiale
Akira se déroule résolument dans un univers qui tient de la science-fiction, mais il puise son pouvoir de fascination dans des évènements tristement réels qui sont encore récents dans la mémoire des Japonais. L’univers d’Akira est en effet très comparable au Japon tel qu’il était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : ravagé et en pleine reconstruction, régi par un gouvernement contesté, traumatisé dans tous les sens du terme. Le Japon se trouvait alors dans un état plutôt proche de ce que l’on trouve dans les oeuvres post-apocalyptiques, et Akira en résonne d’une authenticité vibrante et dérangeante.
Katsuhiro Otomo a d’ailleurs dit lui-même avoir conçu ce manga en résonance avec les évènements de l’histoire récente du Japon, et c’est l’incertitude et le danger qui baignent tout le manga qui en font encore une oeuvre visionnaire et angoissante. Le manga construit d’ailleurs un antagonisme très fort entre le Neo-Tokyo post-apocalyptique et encore « civilisé » de la première moitié de l’histoire et la ville en ruines à nouveau détruite dans la seconde moitié qui laisse pourtant plus de perspectives d’évolution aux protagonistes. Ce sont donc deux conceptions du monde après le cataclysme, et du Japon après le traumatisme de la guerre, qui se font face dans Akira, et cela l’ancre dans un aspect de la culture japonaise occulté qui fascine malgré tout.
Une réflexion sur l’arme atomique et sur le pouvoir de l’esprit
Le cataclysme qui a détruit Tokyo en 1982 n’est pas spécifié, mais étant donné la nature des dégâts causés, on peut supposer au début du manga qu’il a été provoqué par une arme nucléaire. Or impossible d’oublier que le Japon est encore à ce jour le seul pays ayant été attaqué avec une frappe nucléaire. Akira est symptomatique du traumatisme vécu par les Japonais après les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, qui leur ont fait subir des catastrophes jamais vues (historiquement « habituée » aux séismes et aux tsunamis, la population japonaise a de l’expérience en termes de catastrophes) mais ont également eu des conséquences terribles liées à la radioactivité.
Le petit garçon Akira, qui se trouve être la cause de la catastrophe ayant détruit Tokyo, est en quelque sorte la personnification de cette tragédie, terriblement familière pour les Japonais, provoquée par la bombe « Little Boy » (littéralement « Petit Garçon ») lancée sur Hiroshima. Mais lui et ses pouvoirs psychiques sont le moyens pour Katsuhiro Otomo de montrer que l’esprit humain est tout aussi dangereux qu’une arme de destruction massive. Les pouvoirs de Tetsuo sont certes terrifiants, avec leur puissance destructrice, mais il est encore plus effrayant de constater que toute cette puissance est entre les mains d’un jeune homme colérique et immature. Une image dérangeante et tristement pertinente dans le cadre de l’immense parabole que constitue Akira.
Un monument visuel et graphique
L’histoire d’Akira n’est d’une immense ampleur que parce qu’elle est servie par une mise en image d’une incroyable qualité. Influencé par le créateur de bande dessinée Moebius (de son vrai nom Jean Giraud), Katsuhiro Otomo donne corps par ses dessins à une ville futuriste fourmillant de détails en tous genres. L’univers créé par Otomo parait ainsi incroyablement vivant et crédible et on ne peut s’empêcher de scruter longuement chaque planche pour en saisir les différents éléments qui donnent corps aux décors dans lesquels l’action prend place.
Et quelle action ! Akira est un modèle de composition et de mise en scène, et chaque mouvement, chaque vignette est d’un dynamisme qui aspire dans l’histoire. Qu’il s’agisse de scènes « intimistes » ou d’évènements cataclysmiques, Otomo n’a pas son pareil pour créer des planches toutes plus mémorables les unes que les autres, affranchies des défauts que certains continuent de reprocher aux mangas dans leur style pensé comme le plus courant. Définitivement, Akira s’impose comme une oeuvre au style mature et qui exploite pleinement son médium.
Le film ne démérite pas, mais il n’est pas au niveau
Enfin s’il y a bien une raison pour laquelle il faut lire Akira, c’est parce qu’il est impossible de se contenter de son adaptation animée en long-métrage. Certes, Katsuhiro Otomo a été lui-même maitre de l’adaption de son manga, lui insufflant le même souci du détail dans les décors et le même soin maniaque concernant la mise en scène et la représentation de l’action. En soi d’ailleurs, le film ne démérite pas et il est clairement autant un monument pour l’animation japonaise que le manga l’est pour la bande dessinée nippone. Seulement, le film n’a pas l’envergure du manga.
Le long-métrage a été réalisé alors que la prépublication du manga n’était pas terminée (il est courant au Japon d’adapter une série manga en anime avant même que l’histoire ne soit finie, le scénario étant tronqué ou modifié si besoin) et il est donc obligé qu’il coupe totalement la dernière partie du manga. Mais il était également tout bonnement impossible de retranscrire toute la densité de l’oeuvre en seulement deux heures de temps. Toutes la seconde partie du manga, après le cataclysme qui détruit à nouveau Neo-Tokyo, a donc été coupée, et de nombreux personnages ont été escamotés. Bref, l’essence qui faisait la superbe du manga y a perdu.
En lisant tous ces points très intéressants on n’a qu’une envie : se replonger dans cette oeuvre dense qui mérite sa place au panthéon de la bande dessinée mondiale au même titre que Watchmen. Les aventures violentes de Kaneda et Tetsuo n’ont pas fini de nous emporter et on reste toujours aussi fasciné par la portée politique, symbolique et mystique de l’oeuvre. Avez-vous envie de vous lancer à l’assaut de ce monument du manga ou connaissez-vous déjà Akira par coeur ?
Par Romain Berthommier, le